
Son œuvre a les traits d’un feuilleton, où la fiction dramatique dissimule les problématiques que pose celle-ci voire les noie sous une esthétique de téléfilm bas de gamme. La mafia calabraise, l’une des plus archaïques, qui repose étroitement sur les liens familiaux, un système d’œil pour œil et de dent pour dent, où l’on jure en faisant couler son sang sur des idoles, prêt à tuer frère et père pour défendre l’honneur. Dans cette organisation la femme a un rôle crucial, l’écrivain Roberto Saviano le rappelle dans son ouvrage très éclairant sur la camorra * : elles sont les reproductrices et continuatrices de ce système. Elevant et conditionnant des successeurs machistes et criminels. A ce titre, elles sont des maillons indispensables à la perduration mafieuse, comme le montre justement le film. Aussi, leur opposition est d’autant plus déstabilisante. L’actrice Vanessa Scalera témoigne d’une présence et d’une force de personnalité à l’écran qui incarne avec justesse et retentissement la rébellion de cette femme. Elle s’exprime dès le début du film lorsque, vêtue d’une longue chevelure bouclée de jais, déjà incontrôlable, elle est mise en garde par son frère alors qu’elle erre dans un espace interdit.
Hormis l’actrice, le long-métrage manque d’un véritable geste cinématographique. La mise en scène est parfois très poussive à l’image de l’adolescente Denise, qui sert les poings de façon exagérée en enlaçant son père, qui vit une amourette fugace avec l’un des hommes impliqués dans la disparition de sa mère, l’ensemble mené par un jeu d’actrice qui laisse à désirer. Sur le goût âcre lié à une police qui protège avec difficulté de cette organisation lorsqu’elle n’est pas corrompue, le film passe vite. De même, l’ONG antimafia Libera, essentielle association luttant contre le crime organisé, n’est ici perçue que comme une toile de fond de sollicitude. Nous sommes loin de l’atteinte à la fois visuelle et politique portée par Gomorra (2008) de Matteo Garrone, adapté du livre de Roberto Saviano, de son ouverture marquante sur un bleu électrique de cabine d’Ultra-Violet qui s’achevait dans un bain de sang au son d’une musique enlevée de variété italienne. Introduction programmatique qui promettait d’éclairer avec la force d’une lumière de néon les rouages de la mafia napolitaine.
Dans Lea, quelques scènes extraient le film de son ton impersonnel et d’une inconséquence formelle : le déroulement d’une procession silencieuse dans un village de Calabre où sans prévenir la mort fait tomber un homme lourdement au sol au seul bruit d’un coup de feu. Ou encore ces images glaçantes de caméras de surveillance filmant la dernière promenade de Lea Garofalo avec sa fille. Mais Marco Tullio Giordana ménage la mafia calabraise face à son goût exsangue et pourri, qui poussa un jour une italienne à s’opposer farouchement.
(*) Gomorra : dans l’empire de la camorra, Gallimard, 2007.