Sur le papier, pourtant, Le Géant égoïste ne manque pas d’arguments : de la littérature – le film est l’adaptation contemporaine du conte éponyme d’Oscar Wilde – à la vie réelle – les rues détrempées de Bradford – en passant par le cinéma de Ken Loach époque Kes (1969), les inspirations sont nombreuses. L’ennui est que tout ce joli collage ne tient pas très bien, même si la réalisatrice travaille ici en terrain connu. Ce n’est en effet pas la première fois que Barnard met les pieds à Bradford, dans le Nord de la vieille Angleterre : c’est là-bas qu’elle avait précédemment enquêté sur la dramaturge Andrea Dunbar, pour son dernier documentaire (The Arbor, 2010). L’occasion pour la documentariste et cinéaste de prendre la mesure de cette contrée peuplée de ferrailleurs et d’esquisser le portrait d’Arbor, le jeune protagoniste de son nouveau film Le Géant égoïste. Plus vrai que nature, avec sa tête de chou, sa queue de rat, son air de coupe-jarret et ses basterds grommelés au kilomètre, ce dernier a tout du mauvais garçon. Et pour cause : une allusion un poil irritante à son propos ou celui de sa famille et l’ado maigrichon saute ni une ni deux à la gorge du premier Goliath querelleur venu, toute rage dehors. Une fureur qui n’a d’égal que son pragmatisme dès lors qu’il s’agit de ramener de l’argent à sa mère qui lutte seule pour l’élever, lui et son frère drogué. Une chose est sûre, cet effronté plein d’audace sait y faire et pige tout très vite. Le hiatus, car il y en a un, se situe peut-être dans le jeu du jeune Conner Chapman, qui pose sur le long terme un réel problème. Certes, le coup de crayon de Barnard est précis, mais sa modélisation se voit vampirisée par ce gamin bourré d’arrogance, auquel il est difficile de s’attacher. Résultat, le regard toujours plus complaisant et affectueux qu’elle jette sur lui a tendance à se muer en véritable cauchemar.

Dans une certaine mesure, la conclusion, aussi poussive soit-elle, réussit à sortir le film de la banalité, mais pas assez toutefois pour rattraper l’ensemble. Car si la misère du monde est une chose ordinaire, la traiter en tant que telle d’un point de vue cinématographique fait courir le risque de la normalisation et donc de la standardisation. Corollaire auquel n’échappe pas Le Géant égoïste, aussi bien sur le fond que sur le forme. Alors d’accord, certains pourront trouver que ce mélange entre documentaire, fable sociale façon Loach et touche de merveilleux à la Wilde, détonant. Mais chacune de ces composantes fonctionnent à bas régime et n’aboutissent pas. Reste le regard ciselé et touchant de Barnard sur les enfants de Bradford, insuffisant néanmoins pour susciter un réel intérêt et tenir la distance.