
Déroute individuelle comme miroir d’une société qui dysfonctionne
Serebrennikov appuie sur les endroits les plus douloureux et évoque des problèmes à la fois très personnels et socio-politiques. D’un côté, Le Disciple relève l’absurdité du pouvoir contemporain, où la laïcité s’allie de nouveau avec l’église orthodoxe, où tout le monde passe pour un lâche et se tait au lieu de contredire les blasphèmes d’un fanatique religieux. D’un autre côté, et plus indirectement, le long métrage s’attaque aux familles monoparentales causant une solitude qui peut se terminer par de la provocation. Dans le film, c’est le manque d’attention et d’amour, l’ignorance et le refus de la part de ses parents qui se trouvent à l’origine de cette tragédie concrète de Benjamin ; faisant allusion à la tragédie du peuple entier agonisant entre les changements de régimes politiques et de croyances. Déçu ou ayant manqué des valeurs humaines dites « de base », cet adolescent se met ardemment à rechercher Le Père, et n’hésite pas à cracher dans le visage de l’Élglise même, se jetant droit dans les bras de nombreux péchés : la haine, l’orgueil, la meurtre.

Une mise en scène trop théâtrale ?
On peut reprocher à Serebrennikov ses dialogues parfois excessivement théâtraux, prouvant que le détachement de la mise en scène du théâtre cette fois-ci lui a joué un mauvais tour. En effet, dans son film Jouer la victime (2006), fait d’après la pièce éponyme des frères Presnyakov, il y a également beaucoup de théâtralité, mais elle est atteinte d’une manière plus riche et authentique. Par exemple, dans les deux films les personnages se servent des outils de filmage pour attester de l’époque et pour témoigner de la réalité. Mais si dans l’oeuvre de 2006 autour d’un caméscope se jouait la mise en scène toute entière, dans Le Disciple l’utilisation des téléphones portables apparaît assez banale et plutôt divertissante. La réalisation de Serebrennikov se fait remarquer au Festival de Locarno en 2008 où il a reçu plusieurs prix pour un drame racontant le chemin de purgation spirituelle d’une chanteuse d’opéra dans Un Jour sans fin à Youriev (Youryev Den’). Dans ce long métrage, contrairement à Le Disciple, la purgation passait plus par le geste, par le mouvement de la caméra, que par des citations écrites et prononcées. Car même faisant allusion à la première ligne des Evangiles selon Saint Jean, que « au commencement était le Verbe », ce moyen artistique reste plus du côté théâtral et littéraire que cinématographique.
Le Disciple est une injection puissante d’émotions qui se joue beaucoup sur la frontière entre le choc et le rire, entre l’obscurité et la lumière : Benjamin s’habille en noir – comme à la fois un moine et un diable, Grigori – en blanc, la mère de Benjamin, convertie, se met en bleu et bordeaux – le couleurs iconographiques des la Vierge Marie. On peut se faire plaisir à rechercher de nombreuses références comme celui de La Lamentation sur le Christ mort d’Andréa Mantegna dans les prises avec le seul ami de Benjamin, Grigori, qui s’avère être un ange handicapé ou un apôtre devenu victime des convictions de son idole ; on y trouve les références à Elephant de Gus van Sant en parlant de la lumière écrasante des baies vitrées opposées au dos sombre du personnage habillé en capuche noir. Le Disciple reste une véritable claque à la société russe et mondiale, un grotesque cynique revendiquant les sujets tabous.