L’armée du salut

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Terrible récit naturaliste, le premier film de l’écrivain Abdellah Taïa est tout sauf tiède.

Écrivain avant de devenir cinéaste, Abdellah Taïa est finalement parvenu à réaliser son premier rêve, son ambition originelle. Auteur de cinq romans dont Le Jour du roi, lauréat du Prix de Flore en 2010, l’écrivain marocain exécute une autofiction sèche, dont L’armée du salut est peut-être la quintessence, littéraire et cinématographique. Celui qui "travaille avec des voix" lorsqu’il écrit s’est lancé dans l’adaptation d’un parcours autobiographique, ici restitué en trois épisodes, de l’enfance dans la maison familiale à l’exil adulte vers l’Europe, avec la Suisse comme première escale.

Dans un souci d’échapper le plus possible au misérabilisme, le cinéaste assèche, épure les situations, le jeu, les plans. De l’enfance passée auprès d’une famille asphyxiante jusqu’à la rencontre décisive avec un amant européen, le film se garde bien de faire du personnage principal un martyr. La situation du jeune Abdellah existe d’elle-même à l’écran, sans jugement ni manières visuelles. L’homosexualité, aussi tabou dans la société marocaine que filmée comme pulsion de survie, n’est pas le sujet du film, encore moins l’émigration qu’entreprend le personnage.

 

Dans un souci de vérisme, le cinéaste a veillé ce que tout soit représenté comme il l’avait vu, et par là vécu, "de la couleur des chaussures de sa mère et de ses sœurs" à l’agencement des pièces de la maison familiale. Pourtant le film met à distance destin personnel et récit illustrant la réalité "très opaque, très complexe du Maroc". Pensés comme des tableaux, les plans imposent cet écart entre une réalité éprouvante et la nécessité pour le jeune héros d’y survivre, de faire avec. La photographie d’Agnès Godard offre à la lumière jaune et pâle d’un Maroc loin de toute visite touristique toutes ses nuances, accentue la rencontre de l’eau – élément symbole important – avec la sécheresse. Comme chez Claire Denis parfois, la fiction la plus brulante, étrange, se déréalise presque à l’image, comme une soupape de sécurité.

Cette élégance de l’image, cet immobilisme des plans, malgré la violence des situations qu’ils contiennent, permet au spectateur de faire face. Jamais victime, Abdellah fait penser à certains personnages de Fassbinder, chez qui le sexe est une arme, un outil de distinction sociale autant que les raisons d’une chute à venir. Nourri d’images de cinéma dès l’enfance, Abdellah Taïa confiait à propos des mélodrames : "plus ils sont mauvais, plus ils sont bons". Le film, dans son troisième tiers, puise dans cet héritage mélodramatique, modulant un peu les rapports entre personnages, donnant finalement un peu plus de chairs à de si tempétueux sentiments.

 

Titre original : L'armée du salut

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Durée : 84 mn


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