L’Absence

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Auxiliaire de vie, Félicia s’occupe d’Anna, atteinte de la maladie d’Alzheimer, déconnectée du monde, de son mari et de son fils. Un jour, le mari s’en va et disparaît. S’est-il enfui ? A-t-il eu un accident ? On ne sait pas, et on ne le saura jamais. Apparemment, là n’est pas la question. Pas pour […]

Auxiliaire de vie, Félicia s’occupe d’Anna, atteinte de la maladie d’Alzheimer, déconnectée du monde, de son mari et de son fils. Un jour, le mari s’en va et disparaît. S’est-il enfui ? A-t-il eu un accident ? On ne sait pas, et on ne le saura jamais. Apparemment, là n’est pas la question. Pas pour Félicia en tout cas qui décide de ne pas prévenir la police, ni le fils. Félicia se terre peu à peu dans la maison avec la malade.
 
L’absence est donc au cœur du film : un personnage manquant, l’un dont l’esprit est absent au monde et le dernier qui cherche à s’absenter du monde. Cyril de Gasperis prend le parti de montrer les effets d’Alzheimer sur le rapport au temps. Les scènes de la vie quotidienne se répètent inlassablement avec les mêmes mots, les mêmes gestes et les mêmes plans : le réveil, la préparation du petit déjeuner, la prise de médicament, la vaisselle. Les plans et les séquences semblent identiques, on peut croire que ce sont les mêmes plans disposés à divers moments du film. La phrase « On a tout le temps » prononcée par l’un des personnages paraît ainsi ridicule. Oui, si le malade ne ressent plus le temps qui passe, il a tout le temps en effet. Ou n’en a plus du tout, peu importe. Le temps n’a plus d’importance. Il s’agit d’une sorte de présent perpétuel, de gestes qui se renouvellent, mais qui semblent à chaque fois neufs puisque le malade n’en conserve pas la mémoire. Hors du temps, on est alors hors la vie, enfermé dans ce présent lancé en boucle comme isolé dans cette maison reculée. La maison devient un terrier où l’on s’enterre, un lieu mental ,symbole de l’enfermement : celui d’Anna dans son présent perpétuel et de Félicia dans sa fuite du monde extérieur.
 
 
La force de L’Absence réside dans la beauté de ses plans composés comme des peintures. A plusieurs reprises, on voit Félicia assise dans le jardin cadrée depuis une fenêtre, à l’intérieur. Plans très composés avec le rideau de la fenêtre et un fauteuil agissant comme figures-repoussoirs pour permettre de mieux pénétrer la toile-jardin et viennent aussi apporter une touche de couleur qui contraste avec la verdure de l’extérieur. Il en va de même avec l’autre plan récurrent du film, celui de la préparation du plateau pour le petit déjeuner où l’on voit naître à l’écran une nature morte : d’abord le plateau, tache d’orange sur le carrelage blanc et vert, la disposition des tasses et cuillères et la rectification de leur position. Cette composition picturale de l’image serait appréciable si le réalisateur ne se sentait pas obligé d’autant la pointer du doigt. Là où la finesse de la composition l’emportait, il ressent le besoin d’enfoncer le clou en cadrant sur des catalogues de peintres dans la bibliothèque (Rembrandt et Zurbaran) et en rajoutant une couche en faisant de son héroïne une apprenti-portraitiste.
 
Rajoutons à cette insistance, la reproduction des séquences clichés du cinéma auteurisant à commencer par le traitement clinique de son sujet : rigueur et froideur semblent être les maîtres-mots du film. Il nous sert aussi la scène « ce soir on danse », typique du cinéma d’auteur depuis François Ozon, moment de frénésie où le corps prend le pas sur l’esprit. Débordement ridicule qui en plus n’apporte rien au film : aussitôt passée, aussitôt oubliée. Ou alors faut-il la lire comme ce que le personnage de Félicia craint de la vie, les relations sociales, avec l’autre sexe notamment, et rejette ? Sans oublier les non moins fameuses séquences du « robinet qui goutte » (évier et baignoire précisément), dignes d’un mauvais film de fin d’études, qui n’évoquent rien d’autre chez le spectateur qu’une probable et effarante facture d’eau. Tout cela est bien dommage parce que le thème (l’enfermement progressif du soignant et du patient) est en soi intéressant et le film n’est pas dénué de qualités formelles. Mais il se noie dans un bain de stéréotypes navrants et finit par tourner à vide complètement.


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