Si l’attentat de Fruitvale Station a eu des répercussions aussi fortes, c’est grâce (ou à cause de, c’est selon) de leur filmage sur le vif par des téléphones portables (le passage à tabac de Rodney King fut filmé, lui, par un vidéaste amateur). Cette diffusion sur Internet eut pour conséquence une médiatisation sans précédent et quasi-immédiate de l’affaire dans le monde entier et singulièrement dans la banlieue de San Francisco. Coogler dit avoir été profondément affecté par ces images. L’idée d’écrire un scénario à partir de cette histoire lui est venu lorsqu’il s’est rendu compte que les suites de l’affaire donnaient lieu à des prises de positions binaires, manichéennes – pour ou contre. La victime dans ces cas-là n’est plus qu’un instrument dans un conflit qui prend des allures idéologiques, l’individu devient une sorte d’abstraction. Le jeune cinéaste décide alors de faire un film pour dépasser ce clivage et rendre une humanité à Oscar.

Fruitvale Station est donc le récit des dernières 24 heures de la vie d’Oscar. Ces dernières heures sont merveilleuses. Non pas que la vie soit idyllique, le héros, une sublimation d’Oscar. Au contraire, c’est une journée qui n’a rien de particulier, c’est la routine. Pourtant, l’émotion est bien présente dés le début avec les gestes du quotidien, les trajets en voiture, Oscar qui emmène sa fille à l’école… Oscar n’est pas un ange : il a fait un tour par la case prison pour trafic d’herbe, s’est fait virer de son job, n’a pas toujours été d’une fidélité à toute épreuve. Pour autant il est très attachant ; quelques signes nous montrent qu’il a décidé de rompre avec ses errements passés. Rien dans ce film n’est lourdement asséné, nous reconstituons l’existence du héros bon an mal an au cours de cette dernière journée et nous nous laissons bercer par une émotion douce. C’est sans nul doute la mise en scène nickel de Coogler – un rythme efficace et un format 16 mm -, qui rendent cette tranche de vie simple si troublante mais aussi la performance des acteurs et en premier lieu celle de Michael B. Jordan dans le rôle d’Oscar. Il y a un peu du jeune Eddy Murphy dans ce garçon, papa aimant, fils prodigue, bon copain, avec un cœur gros comme ça.

Il y a aussi l’instant subreptice où Oscar se fraye un passage dans la rame bondée au retour du feu d’artifice pour trouver une place assise et qui est surpris d’entendre une jeune femme (connaissance récente et platonique) l’appeler. En un quart de seconde, la caméra saisit l’embarras du jeune homme qui ne sait quelle attitude adopter alors que sa petite amie (Melonie Diaz), d’une nature très jalouse, a déjà quitté son strapontin pour constater ce qui pourrait bien être un flagrant délit…
Le destin est un mystère – nous le savons -, mais il prend parfois des tours et des détours cruels et absurdes, pour arriver à ses fins. Rétrospectivement, après un drame, nous pouvons nous en rendre compte. Ryan Coogler nous montre cela avec une très grande justesse. Notamment lorsque avant de sortir pour la nuit fatale, Wanda, la mère d’Oscar, l’excellente Octavia Spencer, conseille à son fils de laisser sa voiture au parking et de prendre le métro afin d’éviter toute conduite en état d’ébriété. Oscar, bon fils, obtempère…