Ici encore, un homme et sa fille habitent un vieux château de campagne, en trio avec une préceptrice. Barbara, la fillette, rêve une nuit qu’un pompier entre par sa fenêtre. Quelques années plus tard, la vingtaine, elle part faire le tour du monde pour échapper à son père, puis revient au château. Là, elle retrouve son amour fétichiste des pompiers, jusqu’à les appeler abusivement et à en capturer un, des jours durant, dans sa chambre d’enfant. La chambre et le couloir attenant sont le décor principal de Flammes, perdus au milieu du dédale de pièces d’une bâtisse fermée sur l’extérieur. Le film d’Arrietta s’apparente à un conte de fées déréglé, où les rêves d’une jeune fille se répéteraient à l’âge adulte, mais chargés d’une sexualité dont ils étaient auparavant exempts. Flammes s’ouvre sur cette image du pompier comme apparition dans une chambre de petite fille : Barbara en a peur, elle crie. Plus tard, c’est elle-même qui convoque à nouveau son image. Le pompier devient personnage, c’est son costume et la charge sexuelle qu’il charrie qui comptent désormais, îlot onirique dans lequel la jeune femme peut se réfugier pour s’évader de la réalité.

Ce fétichisme du pompier, et in extenso du travestissement (la fonction de pompier, hors tenue, ne véhicule aucune envie d’ailleurs) ne quittera plus Flammes. La raison quitte dès lors le récit, immoral et en circuit fermé, gonflé de sous-entendus aussi explicites que non prononcés. Barbara dit au pompier de ne pas bouger, de rester « comme ça » : il s’agit de pouvoir supporter la vie (Barbara est nettement dans une certaine forme de dépression) en la déguisant, en recréant le rêve tel qu’il s’est manifesté la première fois. Cette notion de jeu revient régulièrement, Xavier le pompier affirmant que, si les deux amants se résolvent un jour à partir loin, ils pourront « toujours jouer ». Il y a que l’extérieur n’est, ici, que fantasme. Barbara l’a connu, elle en est revenue. Flammes est un film d’intérieurs, un peu théâtral (de lourds rideaux rouges sont accrochés partout) ; intérieurs dans lequel évolue un ballet de personnages qui ne fonctionnent qu’en vase clos, presque apeurés par le monde en dehors de la maison. Quand des invités y entrent, ils semblent être voués à ne jamais en repartir (le demi-frère de Barbara, l’Américain rencontré en voyage), car la demeure est aussi asphyxiante que l’est le fantasme obsessionnel de Barbara, chimère qui prend possession de son corps pour finalement l’habiter toute entière.
Flammes se démarque des autres films d’Arrietta : pour la première fois, le cinéaste n’est pas à la production, l’écriture du scénario commence des mois à l’avance, le tournage s’effectue dans des conditions plus conventionnelles. Cela se sent : les plans du réalisateur (tournés par ses soins, comme à son habitude) sont extrêmement précis et découpés. Arrietta capture le regard à l’intérieur de la maison comme pour dire que cette obsession est le pendant du confinement familial ; le fantasme de Barbara lui sert d’échappatoire dans un lieu où les silences sont pesants, où l’ennui provoqué par l’oisiveté suinte de tous les plans. Le cinéaste oppose la perversité de son histoire à la léthargie de ses personnages, qu’il filme souvent en gros plans, suggérant que l’aventure est intérieure, que le quotidien – la réalité – n’est que journées sans fin qui s’accumulent, s’empilent les unes sur les autres. Flammes est un film d’une grande élégance, d’une étrangeté parfois férocement inconfortable, « morceau de rêve collé à la vitre » d’une chambre que Barbara décide seule de ne plus quitter. D’un maniérisme rigoureux (Duras parlait d’ailleurs de la « rigueur » du cinéma d’Arrietta), le film dit le jeu comme ligne de fuite et la pyromanie comme désir : quand Barbara finit par déserter les lieux, la fumée envahit l’écran.
(1) Marguerite Duras, « Le Château de Pointilly », Le Monde extérieur, Outside 2, Éditions P.O.L, 1993.