Paré de la modestie d’un « citoyen ordinaire », Michael Caine a mené une carrière des plus extraordinaires. Une star qui n’en revendique pas l’étiquette. En plus de cent quarante films, avec une aisance et une élégance qui n’appartiennent qu’à lui, il a traversé les décennies, depuis le mitan des années cinquante, indémodable, inébranlable, se lovant dans les univers aussi disparates et riches que ceux de Joseph, Mankiewicz (Le Limier) John Huston (L’homme qui voulu être roi) , Woody Allen (Hannah et ses sœurs)…. et, dans notre nouveau siècle, à présent septuagénaire, il séduit le visionnaire Christopher Nolan -quatre collaborations. Outre le plaisir de (re) découvrir des œuvres auxquelles on ne se réfère pas au premier abord -sauf peut être Ipcress– , le coffret Éléphant Films qui lui est consacré nous donne l’occasion de prendre une petite partie de la mesure de cette immense acteur.
Ipcress, danger Immédiat (Sydney J. Furie, 1965)
Suite à la disparition de plusieurs scientifiques de renom, le contre-espionnage britannique fait appel à l’iconoclaste officier Jack Palmer pour se joindre à l’enquête. L’homme est surpris par le réveil qu’il a pourtant programmé., pas de quoi le bousculer cependant. L’incipit, qui, sous tous les angles se plait à prendre son temps pour lui offrir un petit petit-déjeuner, lui permettre de s’apprêter avant de prendre son tour de garde dans une planque d’observation, donne le ton. Jack Palmer, agent secret aussi redoutable et froid que James Bond quand il faut passer à l’acte, n’adoptera pas l’allure archétypale d’un héros dopé à la testostérone, mais celle de la singulière persona de Michael Caine, qu’il bichonnera, en modulant évidemment ses effets, dans un grand nombre de ses futurs personnages. L’homme impose sa force tranquille, sans bomber le torse, règle son compte à ses adversaires sans faire montre d’un spectaculaire savoir-faire; comme le souligne les très astucieux cadrages à distance lors de l’affrontement avec un garde du corps peu avenant. Le film comporte peu d’action pour le genre, son rythme se calque sur la fausse nonchalance de Caine. Funambule de génie, Caine flirte avec les contrastes sans jamais tomber dans la facilité : entre cynisme et empathie, entre rébellion et sens du devoir, entre violence et sagesse… On se rapproche ainsi d’un réalisme qui sied aux œuvres d’espionnage de John le Carré. Cette excellente première aventure de Palmer sera suivie par deux films et, bien plus tard, deux téléfilms, toujours avec Caine.
L’aigle s’est envolé (John Sturgès, 1976)
Après avoir réussi à libérer Mussolini de prison, Hitler souhaite mener une opération de la même envergure pour kidnapper Churchill. Sur un des schémas récurrents du film de guerre, un commando d’experts prêts à se sacrifier pour une cause perdue, l’expérimenté John Sturges ( La grande évasion, 1963, en point de référence) dispose d’une bel arsenal pour son baroud d’honneur, son dernier film. Après une mise en place – présentation de la mission et des membres -, attendue mais efficace, les rebondissements et scènes de combats ont du mal à faire mouche. Reste alors le plaisir d’un casting cinq étoiles. Sous les uniformes des trop souvent caricaturés militaires des Forces du Mal, Robert Duvall en général borgne, lucide, profondément humain, Donald Pleasence jubilatoire dans le fauteuil d’Himmler. Ce sont les forces américaines qui sont ridiculisées par le biais d’un colonel va t-en guerre, mais totalement inexpérimenté, Larry Hagman auusi déjanté que dans S.O.B de Blake Edwards. Donald Sutherland, très fin en Irlandais indépendantiste et romantique partage le haut de l’affiche avec Caine. Les deux acteurs possèdent de nombreux points communs, notamment leur immense carrière. Michael Caine, apporte une autorité naturelle doublée d’une sensibilité tout à l’honneur de son personnage d’officier courageux mais surtout guidé par des valeurs humanistes. De nouveau, l’art de la nuance du comédien au service d’une mission loin d’être gagnée d’avance, rendre crédible, touchant mais jamais rassurant un ennemi aussi redoutable du Monde Libre.
Élémentaire, mon cher… Lock Holmes (Thom Eberhardt, 1988)
En plus d’être celui qui publie les aventures de son ami Holmes, le docteur Watson serait le véritable limier qui résout toutes les affaires. Partant de ce postulat tout à fait plausible au regard des nombreuses remises en cause des paternités que permet l’Histoire revisitée, le scénario déroule une partition inversée qui a tout pour nous réjouir. À la baguette, Thom Eberhardt ne possède pas l’envergure d’un Billy Wilder qui avait déjà donné un sacré coup de canif à la légende du limier de Baker Street dans La vie privée de Sherlock Holmes (1970). Peu importe, on peut rester dans la fosse pour diriger une histoire qui plus est sans relief quand on dispose de deux solistes de haut-vol. Ben Kingsley, rage, pétille, bondit comme un enfant à qui on offre la plus belle des panoplies comme cadeau de noël : .une tenue de Watson. Les traits marqués, les paupières tombantes, un embonpoint assumé, fruits de la paresse et d’un penchant caché pour la bouteille, ostensiblement soulignés par les artifices cinématographiques accueille toute la malice de Caine. Sans jamais cabotiner, pourtant l’équilibre est délicat – surtout quand on joue le rôle d’un acteur raté qui se prend pour un brillant cerveau- , se multiplie les bons et les gros mots, les bafouilles et les fouilles improvisées, les male gaze – autre temps, autre mœurs – et les regards complices. Une partie de ping-pong entre les deux acteurs qui ne cherchent pas – contrairement à leurs personnages – à obtenir l’exclusivité des projecteurs.
Dr. Jekyll et Mr. Hyde ( David Wickes 1988)
Deux ans plus tard, mais cette fois ci pour la télévision, Michael Caine endosse le costume d’un autre célèbre personnage de la littérature anglaise, période victorienne : l’inquiétant docteur Jekkyl. Là encore, l’histoire originelle est revisitée, pour nous sortir des sentiers maintes fois empruntés. Comme se le permettait avec brio La Hammer, le scénario apporte du sang neuf en ressuscitant le mythe. Ici, Jekkyl a perdu sa femme, c’est pour cette raison qu’il se livre à corps perdu – le sien évidemment – dans l’élaboration d’une formule censée guérir Le Mal. Effets contraires, prévisibles et peu effrayants pour un public habitué aux transformations et crimes sanglants, et c’est dans le drame que se déploie une réelle intensité qui donne tout l’intérêt à ce solide téléfilm. De nouveau, Sir Caine, infuse à une figure qui nous est familière une personnalité riche de nuances. Tout simplement parfait, aussi bien dans son versant romantique – amoureux de sa belle-sœur, une Cheryl Ladd quelque peu exsangue par rapport à sa sensuelle Kriss dans Drôle de dames – que dans son versant démiurgique. Quel autre comédien peut être autant à son aise pour incarner l’ubiquité ? De Palma a tranché dans le vif avec bonheur, lorsqu’il lui a confié le fauteuil de psy ainsi qu’un rasoir bien aiguisé dans Pulsions (1980).
Pour découvrir cette édition du festival de Caine procurez-vous le coffret 4 DVD proposé par Éléphant Films.