Réalisé en 2003, Bon Voyage, son dernier film en date, est un film d’époque nous plongeant dans la France tourmentée de la débâcle. Comme pour La vie de château, Rappeneau s’arme d’un scénario original (cooécrit ici avec Patrick Modiano et Julien Rappeneau) pour scruter avec une légèreté de surface la sombre période du second conflit mondial.
Les deux premières scènes donnent le ton, ou plutôt les tons du film : une célèbre actrice de cinéma, suivi chez elle par un maitre chanteur, le tue d’un coup de pistolet, puis appelle à la rescousse un soupirant pour qu’il se débarrasse du cadavre. Le drame est traité en hors-champ, on ne verra que l’actrice se débattant avec son soupirant pour qu’il n’appelle pas la police, feignant les larmes, criant d’avance au scandale que cela provoquerait dans tout Paris si on découvrait la sale affaire. Une scène de meurtre traitée en mode comique, où l’actrice de cinéma fait son numéro de drame, exagérant à outrance l’angoisse provoquée par cet acte gênant sa carrière. Pour clore l’épisode, le jeune Frédéric Augier emporte sous une pluie battante le cadavre dans le coffre d’une voiture, et heurte une borne de la police provoquant aussitôt l’alarme et l’ouverture du coffre ! De l’humour donc, qui donne de prime abord l’impression exaltante de s’offrir une comédie sophistiquée en temps de guerre.

En effet, derrière la construction scénaristique maligne pointent souvent la confusion et la peur des personnages. Le fourmillement des intrigues et des enjeux renforce aussi la perception de l’angoisse d’une période troublée, où chacun lutte pour son propre intérêt quel que soit l’issue nationale. Les trains bondés de réfugiés, les rues encombrées de familles à Bordeaux, la délicate condition d’un professeur de physique « juif et apatride », toutes ces évocations d’un pays bouleversé n’éloignent jamais Bon Voyage du film de guerre. On peut imaginer que la collaboration de Patrick Modiano au scénario, écrivain obsédé par la période de l’occupation allemande, n’est pas pour rien dans cette gravité qui affleure au court du récit.

C’est pourtant la comédie qui domine, le réalisateur fait le choix de rythme, de la ferveur et d’une attention aux personnages qui font de Bon Voyage une comédie d’aventures palpitante, rappelant certaines épopées de capes et d’épées des années 40. Ainsi, les personnages naviguent dans le pays (de Paris à Bordeaux, en passant par la campagne et les Landes) encombré, et le film conserve un rythme frénétique, alliant belles scènes collectives, fuites et bagarres, fusillades, avec une fluidité incroyable, compte tenu de la multiplicité des personnages et des intrigues. Le temps n’est pas au calme et à l’immobilisme, et le réalisateur injecte inssaissament de l’urgence à chacune de ses scènes, ne laissant aucun temps de répit au spectateur. Pour bien entrevoir la minutie de construction de certains plans, la virtuosité de plusieurs scènes (la bagarre dans le restaurant, l’évacuation de la prison) ou encore apprécié tous les bons mots émaillant les dialogues, le film mérite d’être revu, encore et encore.

Si le film, comme dans un clin d’œil à lui-même, s’ouvre et se clos dans une salle de cinéma, c’est semble-t-il pour nous rappeler la capacité du cinéma à produire des histoires. Bon Voyage possède toutes les caractéristiques du film français à gros budget, un casting rempli de tête d’affiches, mais tous cohabitant ensemble sans tirer la couverture à eux, et les effets spéciaux et les moyens de la reconstituions restent toujours discrets, au service du récit. Peut-être que la rareté de Jean-Paul Rappeneau comme réalisateur tient à l’ambition de concocter à chaque fois un film complet, soigné, dans une tradition du cinéma en effet artisanale, mais au combien réjouissante, puisque sans autre prétention que de construire des récits de qualité et de faire aimer des personnages bien écrits.
