Sorti ce 12 mars 2025 dans les salles françaises, le documentaire de Shiori Ito, Black Box Diaries résonne avec l’actualité à l’aune de #MeToo et de l’affaire des viols de Mazan. La journaliste et réalisatrice japonaise nous livre un puissant témoignage de son combat pour la reconnaissance de son agression sexuelle. Violée en 2015 par un haut placé de la télévision japonaise, ami du Premier Ministre, l’affaire n’est d’abord pas prise en considération par la police. Alors que son agresseur est finalement inculpé, un ordre de la brigade criminelle met fin à l’enquête. L’affaire est classée sans suite. Ito décide donc de rendre public les événements le 29 mai 2017. Son histoire est ainsi à l’origine de la vague #MeToo au Japon, pays dans lequel la parole n’est pas donnée aux femmes. Ce n’est qu’après huit années que Shiori Ito obtient gain de cause, menant à une modification de la loi sur les agressions sexuelles, vieille de 110 ans.
La nature des images comme critique de la société japonaise
Avant de réaliser son documentaire, Shiori Ito dévoile son histoire dans un livre publié en 2018 sous le titre de Black Box (La Boîte noire). D’où vient alors ce besoin de mise en images ? Dans une société qui discrédite la dénonciation, la révélation, le film prend le parti pris de la monstration. Lors d’un entretien, le policier, nommé « enquêteur A », lui déclare : « sans preuves, votre avenir est compromis ». Le documentaire, au contraire du livre, est basé sur le visible ; il donne à voir les preuves en images. Dès le début de son affaire, Ito en journaliste récolte des documents visuels et sonores afin de se protéger. À ce stade, l’idée du documentaire n’a pas encore mûri dans son esprit.
Black Box Diaries présente alors les faits dans une succession d’images de natures différentes. À la croisée de l’enquête et du journal intime, nous sommes pris dans un tourbillon de caméras cachées et de vidéos de surveillance. S’ajoutent des témoignages face caméra et des conférences de presse où Shiori Ito s’exprime au fil des années, tantôt affirmant sa volonté de justice ; tantôt confiant sa détresse. En dévoilant ces preuves au travers de caméras cachées et de la vidéo de surveillance, Ito fait une critique de la société japonaise. Société patriarcale et traditionnelle qui prône la discrétion et le non-dit.
Une parole prohibée
Le documentaire qui n’est pas distribué au Japon amène à une réflexion sur la manière dont est perçue la dénonciation. Tout le film est construit autour de la problématique du langage et de la parole. Parler est socialement réprimandé comme en atteste le parcours de Shiori Ito. Sa famille lui déconseille d’ailleurs d’aller porter plainte, tout comme le fait le policier par la suite. Après sa prise de parole publique, Ito subit toutes sortes de commentaires haineux jusqu’à être considérée comme une prostituée car son chemisier n’était pas entièrement boutonné lors d’une conférence de presse. Bien qu’elle s’exprime publiquement, elle n’est pas entendue, pire encore, elle n’est pas crue. La majorité des gens ont pensé que l’homme avait été piégé. Ainsi, la parole est du côté de ceux qui ont le pouvoir ; son agresseur étant proche des dirigeants politiques. La société est tellement marquée par ces préceptes que la population nippone considère que Shiori Ito a trahi son pays. Exilée en Angleterre, Ito choisit d’ailleurs d’abandonner sa langue maternelle au profit de l’anglais. Langue qui ne censure pas, qui permet de s’exprimer pleinement, sans nécessité de constante politesse.
Shiori Ito « pour changer sa vie et celles des autres » n’a pas hésité à s’exposer et à se battre. Avec Black Box Diaries, elle signe un documentaire important dont la portée de l’affaire a mené à un changement de loi. Un combat est encore à mener pour la distribution du film dans son pays d’origine qui, nous l’espérons, aboutira à un renversement des mentalités.