Anatomie d’une chute

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La Palme d’or de Cannes 2023 est un procès un peu longuet.

La mode des procès au cinéma

Depuis Saint-Omer d’Alice Diop auréolé du prix Jean Vigo en 2022 et qui a représenté la France aux Oscars, et en attendant Le procès Goldman de Cédric Kahn le 27 septembre, voici sans autre forme de procès le film qui a obtenu la Palme d’or cette année au festival de Cannes. En effet, Anatomie d’une chute consacre la carrière de la brillante jeune diplômée de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-arts de Paris avec seulement trois longs-métrages à son actif – La Bataille de Solférino en 2013, Victoria en 2016 et Sibyl en 2019 – et assoit la reconnaissance des films dits de procès même si ce dernier ne se passe entièrement dans le huis clos d’un tribunal mais se partage en deux parties distinctes : l’enquête et le procès. Mais, en suivant ce film, toutefois un peu trop long et comportant quelques lenteurs même s’il est parfaitement maîtrisé, on suit le calvaire que vit une femme accusée – ou en tout cas suspectée – de la mort accidentelle de son mari tombé d’une fenêtre de leur chalet montagnard. L’ensemble de toute la procédure est suivie par le regard, ou l’absence de regard, de l’enfant du couple, Daniel, malvoyant depuis un accident de la circulation dont le père serait en partie responsable. 

 

Par les yeux d’un enfant

Cet enfant, partagé entre l’amour de sa mère et celui de son père qu’il vient de perdre dans des circonstances atroces, et alors que personne ne semble se préoccuper de l’impact de ce deuil dans sa vie déjà mutilée par son handicap, devient le nœud central du film de Justine Triet jusqu’à la fin que, bien sûr, nous ne dévoilerons pas mais qui apporte un éclairage différent à la relation mère-fils. La réalisatrice s’en est longuement expliqué dans le dossier de presse du film : « Ce couple a un fils qui découvre l’histoire de ses parents dans un procès – procès qui dissèque méthodiquement leur relation – et ce garçon passe du stade de l’enfance, incarné par la confiance absolue envers sa mère, à celui du doute. Et le film va regarder ce passage. Dans mes précédents films, les enfants étaient présents, mais n’avaient pas la parole, ils étaient là ; mais on n’avait pas leur point de vue. C’est comme si le moment était venu d’intégrer le regard de l’enfant au récit, de le mettre en balance avec celui de Sandra, le personnage central. » 

La machine judiciaire décortiquée

C’est justement ce qui fait l’originalité de ce très long-métrage puisque rares sont les récits à mettre l’enfant au centre du discours. Servi par un jeune acteur particulièrement expressif, Milo Machado Graner, le rôle de l’enfant au sein de ce couple déchiré va évoluer plusieurs fois et servir d’élément central de ce procès particulièrement pénible et que le scénario de Justine Thiet et Arthur Harari rend à merveille dans sa forme factuelle et son acharnement judiciaire montrant les rouages impitoyables de la machine judiciaire. Pour ne rien gâter, le film est servi par un casting impeccable surtout Sandra Hüller dans le rôle d’une mère à la fois impénétrable et pitoyable, Swann Arlaud dans celui de son défenseur et, entre autres, Antoine Reinartz dans celui de l’avocat général acharné. Malgré les grandes qualité du film, pour notamment, dans l’ordre, Simon Beaufils à l’image, Laurent Sénéchal au montage, Cynthia Arra assistante à la direction des acteurs et Benjamin Papin assistant à la mise en scène, ce film est quand même assez académique et semble représenter depuis quelques années le choix des différents jurys du festival de Cannes souvent plus préoccupés de faits sociaux et d’évolution de la société que de qualité et innovation cinématographiques (pour preuve, le choix depuis 2019 de Parasite, Titane et Sans filtre, son réalisateur Ruben Östlund étant par ailleurs président du jury 2023). C’est un choix certes, mais plus sous l’emprise du monde tel qu’il évolue que de conscience artistique même si, bien sûr, Anatomie d’une chute possède d’indéniables qualités. Il reste cependant un peu en-dessous des prouesses cinématographiques d’autres films en lice tels que Les feuilles mortes d’Aki Kaurismäki, Les herbes sèches de Nuri Bilge Ceylan ou encore Perfect days de Wim Wenders.

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Durée : 150 mn


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