Le top de Paul Courbin
Pour le top 10 que propose chaque année iletaitunefoislecinema.com, mon collègue Paul Courbin avait mis en dixième place de son propre palmarès Fils de plouc de Harpo et Lenny Guit avec cette précision : « La course poursuite de deux jumeaux débiles dans les bas quartiers de Bruxelles, qui n’est pas sans rappeler le cinéma burlesque américain des années 20 comme des années 90 – de Keaton et de Carrey. S’improvisant gangsters, cascadeurs, maquereaux ou tueurs à gage, les deux casse-cous envoient valser toutes les règles morales mais tiennent à respecter celles d’un certain cinéma, héritiers des nanars japonais et du Nouvel Hollywood, tout en y incorporant l’ingrédient foutraque qui fait le sel de ce nouveau cinéma belge, à mi-chemin entre l’audace et le ridicule : l’excentricité. »
Bon sang ne saurait mentir
Auparavant, ils avaient réalisé trois courts-métrages, Bonne nuit en 2014 dans lequel j’ai un rôle (eh oui ! j’ai l’honneur de les connaître !), Nathalie vous nique tous en 2016 et La brigade du kiff en 2018, et ce long-métrage, Fils de plouc en 2021, super bien accueilli au festival de Sundance. Les frères Guit remette cette année le couvert pour le meilleur et pour le rire. Comme les Lumière, ils sont deux, ils auraient pu aussi bien être trois, voire quatre comme les Marx Brothers si leur petite soeur Lulna et leur Club Guitos faisaient encore partie de l’aventure. Lenny (en hommage sans doute à Lenny Bruce) et Harpo (en hommage à l’un des frères Marx) sont des enfants de la balle. Très jeunes, ils ont été nourris de cinéma grâce au papa, Graham Guit, à qui l’on doit entre autres Le Pacte du silence en 2003 avec Gérard Depardieu, Elodie Bouchez et Carmen Maura, et Hello Goodbye en 2006 avec le même Gérard Depardieu, Fanny Ardant et Manu Payet. C’est sans doute pour cette raison que les deux jeunes hommes ont pu avoir dans le casting de ce nouveau film Catherine Ringer et Melvil Poupaud, ce dernier ayant tourné en 1997 avec leur papa dans Le ciel est à nous avec aussi Romane Bohringer et Elodie Bouchez. Une belle et sympathique affaire de famille.
Le joueur génération Smile
Mais les frères Guit ont décidé une bonne fois pour toutes de faire dans le burlesque, lorgnant vers le trash un peu, le scato parfois et le foutraque tout le temps. Dans Masculin-Féminin de Jean-Luc Godard en 1965, celui-ci appelait Jean-Pierre Léaud (le garçon) et Chantal Goya (la petite chanteuse yé-yé) « les enfants de Karl Marx et de Coca-Cola ». Maintenant, dans ce nouveau film sur la démerde, la poisse et la bohème miséreuse et fantasque, les frères Guit semble avoir dépassé le maître au moins en se déclarant enfants de Harpo Marx et de Tik-Tok tant il est vrai que tout est loufoque, tout est dingue et défile devant les yeux du spectateur un monde étrange et grunge qui joue, perd, gagne et ne semble pas prendre la vie au sérieux. Catherine Ringer se lance ici dans le cinéma et c’est plutôt convaincant dans le rôle d’une colocataire à la famille déjantée et nombreuse qui héberge une jeune fille étrange et un peu hermaphrodite, loseuse phénoménale, qui ne paie pas son loyer, avec le style d’un enfant clown qui aurait grandi un peu trop vite et dont les poches sont toujours pleines d’objets volés ou empruntés à la manière d’un Groucho féminin rarissime chez la génération Z. Elle s’appelle Armande Pigeon dans le film, et c’est Maria Cavalier Bazan qui s’y colle, sorte d’Amélie Poulain bruxelloise qui aime les pigeons, les spaghettis et jouer à tout, surtout si c’est pour perdre. Elle joue et gagne avec son amoureux transi, puis elle joue et perd avec un Melvil Poupaud, en joueur dingue qu’un œil vitreux rend encore plus inquiétant.
Enfants de Groucho Marx et de Tik-Tok
Le film qui a le sens du rythme laisse peu de temps au spectateur de respirer car, en une heure et demie, les gags s’enchaînent, on rit beaucoup et on ne s’ennuie pas. Il y a plusieurs moments d’acmé pendant lesquels on se dit que ce film, ou le prochain s’il est de la même trempe – et il y a de fortes chances pour qu’il le soit – pourrait devenir culte, ou du moins référentiel, lointain parent des Marx, mais surtout pas de Karl même si le lumpen prolétariat est partout présent. On ne sait pas où les malins frérots sont allés dénicher Maria Cavalier Bazan mais elle est fortiche, tout comme le directeur de la photo, Kinan Massarani; le monteur, Yankele Tarraschuk et le musicien, Simon Hanes. Et surtout le producteur, David Borgeaud de Roue libre production, pour se lancer dans une telle aventure ! Pour le visuel, suivez le lien : https://www.youtube.com/watch?v=Rx1VOmaaYVc