Là où les précédents films du cinéaste présentaient des personnages dans l’ouverture, tournés vers l’autre – dans Tu marcheras sur l’eau (2004) et The Bubble (2007) particulièrement -, Yossi est étonnament dans l’introspection, portrait d’un homme vieux avant l’heure et replié sur lui-même. C’est son intérêt premier, celui d’un regard porté sur la misère affective, où le chagrin lié au deuil se vit dans la solitude la plus complète. Ohad Knoller, fidèle acteur de Fox, y apporte suffisamment de profondeur pour être instantanément attachant, malgré ses yeux éteints et son air abattu. Eytan Fox tire parti de son changement physique : dix ans ont passé, le cheveu s’est appauvri, le ventre est devenu bedonnant. Et si le trait est compatissant, l’autre curiosité vient de ce qu’il ne ménage pas son personnage. On connaissait Fox comme réalisateur « gentil », à l’origine de films touchants mais pas toujours exempts de bons sentiments. Yossi va un peu plus loin, cultive une certaine cruauté, et réussit brillamment son coup dans au moins deux scènes.

Dans la première, Yossi se rend chez un homme renconté sur Internet. Celui-ci sort de la douche, ne porte qu’une serviette autour de la taille, sûr de son corps taillé en V et cultivé dans les salles de sport. Il offre un verre de vin à Yossi, lui demande s’il a déjà goûté un Saint-Émilion ; puis lui reproche de n’être pas conforme à la photo qu’il avait postée en ligne, le qualifie de « malhonnête ». « Tu me tailles une pipe et on en reste là » ? Plan de face sur Yossi décomposé, cut. La séquence est troublante, dit le culte du corps prégnant en Israël, les petites humiliations de celui qui n’ose même plus se montrer en maillot de bain. Plus tard, à Eilat, alors qu’il s’apprête à faire l’amour avec le jeune soldat, Yossi éteint la lumière. Son amant la rallume, il veut le voir. Yossi n’a d’autre choix que de se déshabiller à pleine vue. Le « striptease » est filmé de profil, un personnage face à l’autre, n’épargne pas la silhouette ventrue de Yossi. La renaissance part de là, certes, et la personne qu’il a en face de lui est cette fois-ci bienveillante : il n’empêche que Yossi n’en est pas moins ébranlé.
Le film est, ailleurs, moins frappant, peine parfois à prendre de la hauteur vis-à-vis de son sujet, en raison notamment d’une mise en scène peu inspirée. Il se rattrape dans sa dernière partie, une fois Yossi sorti de sa coquille et enclin à tomber à nouveau amoureux. Là, Eytan Fox renoue avec la douceur qui caractérise son œuvre, emmène son personnage sur un nouveau terrain, celui des premières fois. L’argument est un peu mince – il n’y a pas d’âge pour recommencer à vivre, tout le monde a droit à l’amour -, mais en donnant à Yossi la possibilité d’aimer encore, un homme plus jeune – autre tabou assez vite balayé -, le réalisateur, incurable romantique, livre sa version optimiste de l’amour-plus-fort-que-la-mort. Un premier baiser, une boule au ventre qu’on avait oubliée, la première nuit – Eytan Fox crée, l’air de rien, un genre nouveau : la comédie romantique gay.