Whiplash

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Thriller de chambre.

Whiplash signifie coup de fouet, mais aussi traumatisme, et par extension, c’est le mot employé pour désigner le coup du lapin, ce choc des vertèbres subi lors d’accidents de la route. C’est aussi un standard de la musique jazz. Le film est une extension d’un court métrage montré à Sundance une première fois, ayant permis par son succès d’en produire une version longue.
Lauréat du Grand Prix et du Prix du Public au festival cette année, ainsi que du grand honneur d’avoir réveillé les nerfs des spectateurs Cannois lors de sa présentation à la Quinzaine des réalisateurs, s’offrant une standing ovation de dix bonnes minutes, Whiplash fut tourné en 19 jours. Cette première œuvre rejoint les rangs très peu ordonnés et fort distendus des « films sur la musique ».
Si quelques voies dissonantes dans le déluge de compliments se font entendre dans la presse américaine, c’est à propos justement de ce grand tout qu’est le jazz, musique des élites et pourtant portée par certains hommes « du peuple », qui expliquent en deux répliques que le jazz ne s’apprend pas, mais se vit. Selon quelques critiques, sa représentation dans le film comme le fruit du sang et des larmes, de l’isolement social et d’une abnégation proche de l’embrigadement est erronée, voire insultantes pour les « grands artistes de jazz ».

Damien Chazelle raconte avoir vécu lui-même ses années de musicien la peur au ventre ; la relation sadique qu’entretien le jeune Andrew avec son professeur est basé sur la terreur que lui inspirait son propre professeur de jazz band au lycée. Ici, J.K Simmons incarne un homme en noir, menace furibarde qui hurle sur tout le monde, travaillant la vulgarité de ses insultes en grand maître, lors de quelques scènes Grand-Guignol où l’hilarité le dispute à la panique (« not quite my tempo ! »).

Ainsi, la musique live du film s’appréhende pour le spectateur dans la crainte de la fausse note ou de l’erreur, où chaque rupture sonore s’accompagne d’une gueulante. Seule la scène finale, morceau de bravoure où la caméra se pose sur une mèche de cheveux collée par la sueur avant, dans un seul cut, d’embrasser la scène où sont installés les musiciens depuis l’accroche d’un projecteur, est dénué de tension, relâchant justement le contrôle pour permettre au héros de gouter à l’improvisation.

Ainsi, si le film réussit dans ce grand final à restituer le vitalisme des notes de musique, et presque d’en incarner chaque contour, c’est plutôt dans le dessin de la réussite made in USA que le film est intéressant. L’apprentissage par l’effacement de soi, l’endurance et la violence, rappellent évidement une conception toute guerrière de la pratique de la vie ; à ce titre, Whiplash trouve son rythme dans l’alternance de genres qu’il touche : évoquant le thriller par ses jeux de manipulation, et le face à face de gangsters, il s’offre aussi un peu d’action. C’est avant tout la démonstration d’une lutte armée entre deux fous, équipé d’une batterie pour l’un et d’une bonne dose de sadisme pour l’autre.

Miles Teller (Andrew), doté d’une présence et d’un physique étrange : mélange de mollesse généralisée dans les traits et d’angles droits, sert sa gueule de gentil aux stigmates imposés par son ambition, mais gère bien la froideur mesquine des scènes d’à côté, conçues comme des joutes vocales, là encore très rythmées.
La famille et les relations sentimentales sont envisagées comme des obstacles à l’excellence (celle de la rupture avec la petite amie rappelle d’ailleurs l’ouverture de The Social Network), et le comportement de cet ambitieux rappelle nombre de représentations de l’artiste maudit au cinéma. Incompris certes, dans la plus grande solitude, mais surtout assez assuré de sa supériorité pour que ses comportements les plus abusifs lui soient pardonnés, et surtout offrent un fascinant spectacle.

Titre original : Whiplash

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Durée : 107 mn


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