We need to talk about Eva
La symbolique déployée durant tout le film est limpide : du rouge pour le sang, un rideau blanc pour ses fantômes, et un miroir d’eau dans lequel plonger son visage endeuillé… A travers l’image de Kevin, c’est son propre reflet que Tilda Swinton, alias Eva, rejette. Le montage, élégamment elliptique, nous souffle les promesses d’une belle carrière trop tôt suspendue pour changer les couches de son marmot. Tout au long du film il n’est véritablement question que d’elle : qu’est-ce qu’elle a fait qu’elle n’a pas fait ? Réminiscences à l’appui, elle tourne en rond dans son bocal, mais rien n’y fera : l’issue sera fatale, nulle possibilité de remonter le temps. Le petit Kevin a déclaré la guerre à sa maman. Le compte à rebours de l’implosion est enclenché.
Pour Ezra Miller qui incarne de Kevin : « Kevin n’est ni le mal incarné ni un sociopathe – c’est un adolescent qui perce à jour l’image qu’offre sa famille. » (1)
Sa famille, donc : un père le plus souvent absent et totalement aveugle, tout acquis à sa douce progéniture assez peu dupe de la superficialité de papa, une petite sœur pansement qui doit expurger tout le mal perpétré par son grand frère… une mère dont l’unique regard sert de point de repère, de sorte que Kevin finisse bel et bien par nous apparaître comme un sociopathe. Juxtaposition d’un marteau piqueur et d’un berceau, gros plan sur la morve de son ado se rongeant les ongle ou mangeant un litchi : emphases et contrepoints, s’ils nous permettent parfaitement de pénétrer l’inconscient d’Eva, nous permettent aussi de bien ressentir sa terreur ou son dégoût. Très vite, l’intrigue psychologique vire à la psychose presque caricaturale. Kevin se révèle être le diable en personne, et on ne comprend que trop sa mère lorsqu’elle a envie de l’écraser comme une punaise.

Lynne Ramsay ouvre ainsi d’énormes brèches, aussitôt refermées par son propre parti pris esthétique. Au lieu de jongler entre les points de vue, elle n’en a choisi qu’un seul. Le film, certes perturbant, atteint très vite ses limites. La gêne vient malheureusement autant du scénario que de notre frustration à l’issue du long flash back douloureux : pourquoi ? A quoi bon ? Pourquoi n’a-t-elle pas avorté ? Quelle sale tête de con ! Si seulement Super Nanny était encore vivante ! Etc… Si on saisit aisément le narcissisme de Kevin, celui de maman n’émerge qu’à la fin, lorsqu’elle demande à fiston, en prison, pourquoi il a fait tout ça. Il lui répond : « maintenant, je ne sais plus ». A notre grande surprise, Eva le serre dans ses bras : soulagement de ne pas avoir eu à entendre « parce que je te déteste », ou simple geste de pardon ? Enfermés dans leurs ego, tous deux n’ont jamais réussi à dialoguer, ils commencent quand c’est trop tard. Trop tard pour nous aussi, malheureusement : nous détestons déjà Kevin.