United Red Army

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Mi-fiction, mi-documentaire, « United Red Army » retrace les événements ayant conduit à l´une des affaires les plus méconnues de l´Histoire du Japon moderne, « l´incident du chalet d´Asama » (« Asama Sansô Jiken »). Véritable OVNI cinématographique, le film passe pour l´un des longs-métrages les plus percutants de ce début d´année.

En 1972, quatre membres de l’Armée Rouge Unifiée (groupe d’extrême-gauche prônant la lutte armée), traqués par la police et réfugiés dans une auberge, prirent la propriétaire des lieux en otage, durant neuf jours. Retransmise en direct sur les chaînes de télévision japonaise, l’affaire se solda par la libération de l’otage, la mort de deux policiers et celle d’un civil et par l’arrestation des jeunes révolutionnaires. Encore aujourd’hui, l’épisode est significatif dans la mesure où ses répercutions sur l’opinion publique mirent un terme aux activités des différents groupuscules d’extrême-gauche qui s’étaient formés depuis le début des années 60. Quelques jours, en effet, après avoir arrêté les quatre membres de l’Armée Rouge Unifiée, la police découvrit que le groupe, réuni au complet quelque temps plus tôt dans un chalet du Mont Asama, avait consciencieusement torturé, puis exécuté quatorze individus issus de leur propre communauté.

D’emblée, il est clair que le projet de Wakamatsu ne consiste pas à dénoncer, une fois de plus, les crimes perpétrés par les membres de l’Armée Rouge Unifiée (même si ces atrocités sont condamnables à tout point de vue), mais à lever le voile sur le traumatisme qu’un tel événement a pu provoquer au sein de la société japonaise. Loin d’émettre le moindre jugement, le cinéaste se contente d’expliquer les choses et de remonter aux sources du conflit. Il s’agit de comprendre ce qui a poussé ces jeunes à commettre de tels actes de barbarie et de concevoir le récit de ces actes sur la base d’un processus à visée cathartique.

 

L’Histoire non-officielle du Japon moderne

United Red Army se découpe en trois parties. En guise d’introduction, le premier axe se définit comme un documentaire consacré aux différents mouvements de protestation ayant frappé le Japon tout au long des années 60. Lutte contre le traité de sécurité nippo-américain ; manifestations contre la guerre du Vietnam, contre la présence militaire américaine sur le territoire japonais, l’occupation de l’île d’Okinawa, la construction de l’aéroport de Narita à Tokyo ; barricades dans les universités, scandales financiers… Toute la première partie du film rappelle à quel point l’Empire du Soleil Levant, au cours de cette période, se trouvait au bord de la guerre civile. Photos, coupures de presse et films d’archives à l’appui, Wakamatsu recompose l’Histoire non-officielle du Japon des années 60, celle du soulèvement des étudiants, des ouvriers, des paysans, mais aussi celle d’une répression policière toujours plus violente et meurtrière.

La partie documentaire placée en tête du film s’en remet à la chronologie des différents mouvements de contestation japonais, de façon à souligner, d’une part, le contexte dans lequel est née l’Armée Rouge Unifiée et à préciser, d’autre part, les revendications au nom desquelles le mouvement s’est constitué. Plus précisément, l’objectif de Wakamatsu consiste à recréer en termes cinématographiques – comme on recrée en laboratoire les conditions nécessaires à l’émergence des phénomènes physiques – la souffrance due à l’injustice à laquelle une partie de la société japonaise était alors confrontée. Obéissant à un montage particulièrement sec et effréné, que vient redoubler la musique signée Jim O’Rourke, ancien guitariste du groupe Sonic Youth, les premières séquences du film ont ceci de remarquable qu’elles déploient une énergie à couper le souffle et suivent la courbe d’un puissant appel à la révolte.

 

Une mécanique précise et minutieuse

Subtilement, les scènes de reconstitution s’agencent peu à peu dans le tissu filmique là où les documents d’archives font défaut et finissent par emplir le champ entier du récit. La deuxième (le massacre des quatorze révolutionnaires par leurs propres camarades) et la troisième partie (la prise d’otage) du film renversent la proposition documentaire en un procédé scénique assez proche du théâtre, et qui plus est du théâtre brechtien. A ce stade du récit, en effet, la force du film réside dans sa capacité à juguler la participation du spectateur à l’égard des événements dépeints. L’intervention de la voix off, ainsi que l’incrustation des intertitres à l’image sont autant d’éléments contribuant à un effet de distanciation parfaitement contrôlé.

Le cinéaste, pour le dire autrement, refuse de romancer ou d’apporter au déroulement des faits la moindre assise psychologique (ou presque, la transition entre la deuxième et troisième partie détonne avec l’ensemble du long-métrage dans la mesure où il s’agit bien ici d’explorer l’intériorité des protagonistes). Comme le veulent les révolutionnaires eux-mêmes, tous les personnages se voient traités sur un mode quasi-anonyme, réduits à leurs propres agissements. Le film suit, dès lors, une mécanique extrêmement précise et minutieuse selon laquelle chaque plan apporte une pièce inattendue et chaque coupe la crainte d’un surenchérissement de l’action.

Il faut dire qu’à l’envoûtement électrifiant de la première partie du film se substitue un profond sentiment d’horreur, de malaise et de dégoût. A cet égard, la trajectoire d’United Red Army consiste à transformer la révolte sous une forme de gangrène et la violence sous celle d’un virus. Par-delà la radicalisation des propos tenus par les deux dirigeants du groupe, se met en place un dispositif visant à éliminer un à un les différents protagonistes du long-métrage, jusqu’à ce que, d’eux-mêmes, s’épuisent les principes de protestation à l’origine du récit.

 

La vanité du système social

En décidant de ne jamais filmer les événements du point de vue de la police ou des médias, ou de manière générale, du point de vue du pouvoir, Wakamatsu se donne les moyens de traiter son sujet en dehors de toute propension morale. La richesse du film, par conséquent, provient précisément de la liberté avec laquelle le cinéaste expose les tenants idéologiques des problèmes en question.

Si le malaise viscéral suscité par les multiples scènes de violence, de torture et de meurtre pointent l’absurdité de la logique prônée par les membres de l’Armée Rouge Unifiée, il est tout aussi certain que les choix de mise en scène dont Wakamatsu a su tirer tout le bénéfice soulignent en un même mouvement la vanité du système social qui a pu engendrer de tels individus. Il est vrai que les révolutionnaires ont pu se montrer cruels envers leurs propres camarades, mais cette cruauté – c’est là toute la question que pose le film – n’a-t-elle pas été motivée, en premier lieu, par la désobligeance avec laquelle l’Etat japonais, au cours des années 60, a pu considérer l’ensemble des citoyens nippons ?

A reposer sur un tel dilemme, le film de Wakamatsu renoue le plus fermement possible avec les longs-métrages issus de la Nouvelle Vague japonaise dont Nuit et Brouillard au Japon (1960) de Nagisa Oshima marque d’une certaine façon la naissance. Situant le point de départ de son récit dans la lutte contre le traité de sécurité nippo-américain – qui, précisément, constitue le sujet du film d’Oshima, United Red Army semble revenir sur toute une période du cinéma japonais, comme s’il s’agissait de retrouver là les questions que la nouvelle génération de cinéastes tend malheureusement à négliger…

Sortie le 06 mai 2009

Titre original : Jitsuroku rengô sekigun: Asama sansô e no michi

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Durée : 190 mn


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