Une balle dans la tête (Die xue jie tou – John Woo, 1990)

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Mélancoliques, les corps filmés par John Woo s’accumulent dans le cadre, morts en quête de leurs souvenirs.

Avant que le générique de fin ne vienne tomber sur plus de deux heures dantesques, John Woo donne l’occasion à son héros, Ben (Tony Leung Chiu-wai), de se venger. Il attrape dans ses bras son ancien ami Paul (Waise Lee), figure théâtrale du traitre et pointe son revolver sur sa tête. Au moment où il devrait appuyer sur la détente et punir traitrise et injustice, le cinéaste, par son montage, incorpore un bref plan d’une scène précédente. Le meurtre à bout portant d’un figurant par Ben une demie-heure plus tôt ; une balle dans la tête. Les images sont au ralenti, la détonation résonne, le sang s’échappe et l’on retourne brutalement à la scène que l’on avait quittée. Le traitre reste un instant dans les bras de son ami et s’écroule sur le sol. Il semble mort et pourtant, Ben n’a pas tiré. La balle du flashback, souvenir coupable du héros, a remonté le cours du film pour venir assouvir d’elle même le souhait du spectateur. A la fin d’Une balle dans la tête (1990), la machine infernale construite par John Woo n’a plus besoin de son réalisateur pour avancer. C’est nous qui avons tué Paul.
 

Tout comme The Killer (1989) avant lui et A toute épreuve (1992) par la suite, Une balle dans la tête marche sur une quantité de cadavres impressionnante. La grande différence avec ces deux grands succès du cinéaste est que Ben, Paul et Frank (Jacky Cheung), en plus de ceux du récit, côtoient les morts de l’Histoire ; ceux de la guerre du Vietnam – le film se déroule en 1967 – et ceux de la place Tian’anmen – la présence d’une scène miroir présentant un jeune homme allant à la rencontre d’un char. Pourtant, bien que plus personnel et plus ancré dans le réel que d’autres de ses films de l’époque, Une balle dans la tête ne trouve son souffle épique et tragique qu’en tant que pur objet de cinéma. Invitée au milieu de la guerre, au milieu d’un bain de sang ou coupables et innocents connaissent le même sort, l’amitié des trois personnages, sur le point de mourir, ne quitte jamais le cadre. Au centre de tout, elle rappelle nombre de films américains où frères de misère et amis d’enfance s’écartent et se détruisent, nous laissant, une fois l’écran noir tombé, une mélancolie qui devrait être la leur. Voyage au bout de l’enfer (1978) a souvent été, à raison, rapproché d’Une balle dans la tête, que ce soit par ses scènes de torture psychologique ou par la représentation physique à l’écran de la folie de la guerre – Jacky Cheung devenant aussi fou et perdu que Christopher Walken une fois la guerre passée en lui. Mais on pense également fortement à Mean Streets (1973) ou Il était une fois l’Amérique (1984) et à la mélancolie en devenir qui habite chacun de leurs plans. Comme Johnny et Charlie chez Scorsese, Noodles et Max chez Sergio Leone, les trois amis de John Woo vont grandir devant nous et chaque instant passé avec eux appartient déjà au passé.
 

Si la folie visuelle des affrontements que filme le cinéaste marque tant, c’est qu’elle se trouve rattachée aux souvenirs de joie des trois amis, filmés avant que le récit ne les rattrape ; avant qu’ils ne se retrouvent contraints de grandir. Les vingt remarquables premières minutes d’Une balle dans la tête, se terminant par les adieux de Ben à la femme qu’il vient d’épouser, ne cesseront jamais d’habiter le film de John Woo, mais à la manière d’une vie rêvée, d’une vie jamais vécue. C’est la raison qui voit les retrouvailles de Ben et de son épouse, dans les derniers instants du film, se changer en la rencontre de deux inconnus ; elle apeurée, lui devenu un autre. Si John Woo laisse au spectateur le choix de tuer Paul lors de la dernière scène d’Une balle dans la tête, c’est par compassion pour Ben. Un personnage à qui, comme Noodles, on a volé ses souvenirs d’innocence. On laissait De Niro dans les vapeur de l’opium. On laisse Tony Leung dans la fumée d’une guerre qu’il a vécu entouré de ses amis et qu’il quitte seul. Hors champ, John Woo donne à son héros, comme dans quasiment tous ses films, la chance de se reconstruire ; de bâtir ailleurs ses propres souvenirs. Un peu grâce à nous, qui tenions, rappelez-vous, la dernière arme du film.

Titre original : Die xue jie tou

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Durée : 136 mn


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