U-turn, ici commence l’enfer (U-turn – 1997)

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Deux ans après « Nixon », Oliver Stone revenait avec un projet d’allure plus modeste : l’adaptation d’un roman noir, « Stray Dogs » de John Ridley. Un brillant exercice de style.

Film noir sous soleil brûlant. Petite frappe carriant des sacs bourrés de fric qu’il doit remettre à un mafieux, Bobby Cooper pète une durite en plein désert de l’Arizona. Les déboires mécaniques de sa Mustang décapotable le coincent dans un bourg paumé où la chaleur et le soleil ont grillé quelques neurones aux habitants. Femme fatale, sherif brutal, petits caids locaux et destins poisseux… les ingrédients du polar auraient suffi à trousser un petit film suffisamment intéressant. Oliver Stone, lui, plaque sur la mécanique scénaristique ses effets de style hérités de Tueurs Nés : rythme syncopé pour traduire l’état d’esprit – chaotique – de son anti-héros (Sean Penn), défoncé aux amphétamines. Photographie saturée, optiques déformantes, utlisation de différentes pellicules (du grain, du noir et blanc). Mais là où Tueurs Nés partait dans tous les sens, U-Turn tient le fil de son histoire bien serré.

Méchamment ironique

Sans doute moins borderline qu’à l’époque des tueurs tarantiniens (1994), Stone s’est assagi. Parfois trop d’ailleurs : l’exercice de style tire en longueur (2h05 tout de même) et risque de provoquer des pertes d’attention dans la dernière partie. Au mieux, le film s’achève en provoquant une sorte d’hypnose ahurie. A la réflexion, c’est peut–être ce que visait précisément le réalisateur : faire éprouver l’abrutissement de Bobby, coincé dans le trou du cul de l’Amérique en compagnie de rednecks bas du front. La musique, signée Ennio Morricone, souligne constamment cette démarche.

Le compositeur semble comme pris d’un malin plaisir à parodier certaines de ses musiques légendaires (quand d’autres morceaux donnent l’impression que les habitants de cette ville ont fumé un peu trop de cactus). Méchamment ironique et entêtante, la bande-son se rit d’un personnage pris dans un roman de Raymond Chandler du pauvre. Bobby n’est ni très fûté, ni très dangereux. C’est un pauvre couillon flambeur qui voudrait bien tirer son épingle du jeu, mais finit imparablement par obtenir les plus mauvaises cartes.

Gueules 

A la sortie du film, Oliver Stone se vit presque reprocher d’abandonner les œuvres polémiques – quoi ? pas de complot du FBI, pas de charge sur la politique du grand capital ?! – au profit d’un simple film de genre. Pourtant, on préfère le bonhomme lorsqu »il délaisse ses gros sabots (l’ignoble World Trade Center) pour privilégier ce dans quoi, après tout, il est plutôt doué : raconter une histoire. U-Turn bénéficie qui plus est d’un casting béton. Outre Sean Penn, impeccable comme souvent, Stone reunit des acteurs à gueule dont les numéros épatent – les personnages du livre étant il est vrai déjà sacrément gratinés. Billy Bob Thornton, alors quasi inconnu, n’a pas manqué de se faire remarquer dans son rôle de garagiste buté. Retrouver Nick Nolte et Powers Boothe, toujours inquiétants et dérangés, reste un plaisir. Citons également, en vrac, Joaquin Phoenix, Claire Danes, Liv Tyler ou Jon Voight. 

En fin de compte, le plus grand coup de force de U-Turn reste d’avoir fait croire au talent de son actrice principale. Piquante, mystérieuse et dangereuse, dans un de ses premiers rôles sur grand écran, Jennifer Lopez montait instantanément sur le podium des bombes latines. Elle n’y restera pas longtemps. Passé un passage chez Soderbergh (Hors d’atteinte), elle n’alignera plus que d’aimables navets pour midinettes, préférant se lancer dans une carrière de chanteuse. Carrière certes fructifiante, mais tout simplement insupportable. Tant pis pour la musique. Le cinéma, quant à lui, aura au moins eu U-Turn.

Titre original : U Turn

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Durée : 124 mn


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