Traviata et nous

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Philippe Béziat s’approprie le mythe de « La Traviata », montre la magie créatrice et le lent travail des artistes qui donnent vie à cet art qui nous submerge. Irrésistible.

On ne compte plus les réalisations de Philippe Béziat autour de la musique et de l’opéra, tels que Noces (2012), Pelléas et Mélisande (2009) et Passions d’opéra (2008). Son travail documentaire lui a déjà permis de travailler à deux reprises avec Marc Minkowski sur Les Musiciens du Louvre – Paroles d’orchestre (France 2, 2003) et Marc Minkowski répète La Belle Hélène (Mezzo, 2000). Philippe Béziat a également réalisé plusieurs courts métrages de fiction dont Musica dacamera (2004) d’après Madrigals 3 de Georges Crumb, Le JT, petit opéra (1997) d’après Fearful Symmetries de John Adams et  Cinq heures cinq (1995) à partir de Hungarian Rock, pièce pour clavecin de Ligeti. On le voit, il n’est ni un béotien, ni un débutant. Mais il s’est sans doute posé la grande question de savoir comment filmer, non pas un opéra, mais les répétitions de cet opéra pour que le spectateur puisse entrer de plain-pied dans tout le travail, immense, en amont des interprètes, du metteur en scène, de l’orchestre et de son chef, des machinistes. Bref, comment montrer la manière dont cette machine se met en place avec légèreté et professionnalisme pour permettre ensuite à l’ensemble de se montrer sur scène et de donner une âme nouvelle à une œuvre, archi-connue et donc, encore plus difficile à monter.

Au printemps 2011, Jean-François Sivadier met en scène La Traviata à Aix-en-Provence. Louis Langrée dirige le London Symphony Orchestra, Natalie Dessay est Violetta. Pendant deux mois, des salles de répétitions aux coulisses du Théâtre de l’Archevêché, Philippe Béziat et son équipe de cinéma ont suivi leur travail au plus près. Et ça donne ce film magique, émouvant, sensible au cours duquel par la grâce du montage, on va pouvoir assister à la création patiente et déterminée d’un opéra avec ses répétitions ardues et souvent arides, ses angoisses, ses doutes, ses peurs et le talent, pour ne pas dire le génie, qui affleure par moments et qui submerge tout doute, tout silence.
De la scène construite exprès dans la cour du théâtre pour le festival d’Aix-en-Provence aux coulisses, en passant par la fosse d’orchestre et la modeste salle de répétitions, la caméra est partout. Non pas une caméra de télé-réalité, fouille-merde et malveillante, mais une caméra qui illumine chaque personnage et donne de l’importance à tout : la place des décors (tentures et graffitis qui ont toute leur importance) et accessoires comme ces lustres vénitiens, le choix du chœur, l’emplacement des acteurs, les indications scénographiques et les répétitions d’orchestre. Prova d’orchestra (1978), ce beau film de Fellini, c’est un peu ça, le bordel italien en moins. Mais Traviata et nous n’aurait pas déplu au Maestro et Giuseppe Verdi aurait certainement adoré y assister.

 

En fait, comme toujours à l’opéra, le décor, la musique, l’orchestre, les costumes sont mis en place pour faire vivre un drame, celui de Violetta largement inspiré de La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas. Une Violetta sublime et un Alfredo Germont moderne et sexy. Il faut dire que l’interprétation de Natalie Dessay et de Charles Castronovo est parfaite. On les voit au travail, parfois en costumes, parfois en tenue de ville et on mesure l’immensité de leur travail, sa difficulté, et leur acharnement pour placer à la fois la voix, mais aussi mettre en scène une posture. C’est fou ce qu’on demande maintenant à un chanteur d’opéra qui doit être à la fois technique, crédible, passionné et beau. Terriblement beaux comme le sont ces deux acteurs chanteurs. On comprend mieux que Natalie Dessay ait connu récemment une grosse fatigue. Ici la caméra suit nos personnages au plus près, si bien que le titre Traviata et nous prend toute son ampleur : nous sommes partie prenante de la mise en scène de cette Traviata. À recommander bien sûr à tous ceux que l’opéra rebute ou intimide pour qu’ils comprennent bien l’ampleur de cet art non mesuré. Il faut se passer en boucle la fin du film lorsque Natalie Dessay apprend avec une patience infinie comment mourir en scène, quand et comment tomber avant que le noir ne se fasse. Un métier, un art, un génie.
 

Titre original : Traviata et nous

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Durée : 112 mn


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