Total Recall : Mémoires programmées

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Inspiré à la fois par « Souvenirs à vendre » de Philip K. Dick et par le « Total Recall » de Paul Verhoeven, le film de Len Wiseman ne retrouve l’esprit ni de l’un, ni de l’autre.

Le principal problème du Total Recall réalisé par Len Wiseman, c’est l’absence de fantasme orchestrateur. Quel est donc l’objet du désir ? Qu’est-ce qui peut inciter le spectateur à suivre ce personnage qui vit en quelque sorte la même expérience que lui devant l’écran – celle de la bascule dans une autre réalité – mais directement, sans procuration ? Dans le film de 1990, c’est la planète Mars qui jouait ce rôle fantasmatique, avec son cortège de mutants et de constructions stellaires sur fond d’atmosphère irrespirable. La mise en scène de la planète rouge, symbole du sexe désinhibé en même temps que du dieu de la guerre, permettait à Paul Verhoeven de s’en donner à cœur joie deux ans avant Basic Instinct : sous-entendus sexuels piquants (savoureuse, cette question des employés de "Total Recall" à Schwarzenegger : « Orientation sexuelle ?… Hétéro »), mauvais goût insolent et assumé, fièvre d’une mise en scène à la précision implacable, comme découpée dans du métal. Les décors, certains effets spéciaux ont vieilli : mais le film reste remarquable par son ton impertinent, mêlant une ironie fracassante au désir contagieux de fouler la source de nos rêves.

Par contraste, le dernier Total Recall consterne par son premier degré et sa manière appliquée, laborieuse, de remplir son cahier des charges de film d’action. Sans audace, Len Wiseman se cale sur l’enchaînement des péripéties du film d’origine. Sans imagination, il s’en tient à jouer platement sur les références – à la fois pertinentes et sans doute trop évidentes, car outre le film de Verhoeven, ce sont les deux plus célèbres adaptations de Dick à l’écran qui sont citées : Blade Runner (via les nuits pluvieuses, les néons) et Minority Report (les poursuites en voitures).

 

Pourtant, le premier tiers du film s’avère prometteur. Plus de planète Mars, donc, mais un ascenseur géant, "The Fall", qui relie en ligne droite les deux seuls points du globe ayant échappé à l’hécatombe chimique : la Grande-Bretagne et l’Australie. L’immense infrastructure frôle le noyau terrestre : à son approche, la gravité est annulée puis inversée, ce qui donne lieu à une séquence assez belle au début du film. Rotation de la caméra, apesanteur, éblouissement lumineux contrastent avec les mines alanguies et blasées des travailleurs qui font ce voyage tous les jours : on songe fugitivement à 2001, mais de cette atmosphère un instant hypnotique, de cette brève et terrassante mélancolie, le film ne fera strictement rien.

Plus grande déception encore : malgré la banalisation contemporaine des mondes virtuels, Total Recall ne parvient, ni ne songe même à faire sien le trouble dickien en se confrontant à ses questions fondatrices. Qui suis-je ? Où suis-je ? Suis-je, tout court ? Chez Dick, les réponses varient, vacillent, se brouillent sous les auspices de la drogue et de la religion (de préférence, les deux combinées). Le film de Len Wiseman s’avère bien loin de ces préoccupations, si ce n’est en suggérant que, bien sûr, rien n’est réel : vous êtes dans un film. Rien de plus. Qu’est-ce qu’un film hollywoodien aujourd’hui ? Des fusillades et des courses-poursuites numériques, agrémentées d’un peu de cosmétique (décors, actrices, accessoirement MacGuffin). Plus qu’un simple produit calibré, ce Total Recall s’avère donc un symptôme, comme si notre propre société du spectacle avait basculé dans le monde de Philip K. Dick. Chacun vaque mécaniquement à son boulot et ses loisirs tandis qu’un œil nous observe depuis le ciel ; les faux-semblants sont partout, les théories du complot prolifèrent, la fin du monde approche ; comme déclamé dans Ubik, « tout doit disparaître ». Ce qui est sans doute imminent, puisque rien, ici, n’est déjà plus réel. Assurément, le Total Recall de Wiseman ferait un bon sujet de film dickien.
 

Titre original : Total Recall

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Durée : 121 mn


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