Timbuktu

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En réponse à l´obscurantisme salafiste, un film lumineux et inspiré qui célèbre la beauté du désert et de ses habitants, l´amour, la musique et la danse.

Une gazelle court dans le désert, pourchassée par un 4×4 arborant le drapeau noir des djihadistes : « Ne la tuez pas, il faut la fatiguer ! », crie l’un d’entre eux. Puis des masques et des statuettes en bois alignés sur le sable, modestes réalisations de l’artisanat malien, sont fracassées par des tirs de kalachnikovs. Ces images préfigurent l’histoire que nous raconte ensuite Abderrahmane Sissako, celle du berger touareg Kidane et de sa famille lors de l’occupation djihadiste subie en 2012 par la population de Tombouctou. Elles symbolisent la beauté et la vie détruites ou persécutées gratuitement, l’art et le labeur des hommes réduits à néant, comme ce fut le cas réellement sous le joug des salafistes radicaux.

Les premières scènes du film évoquent l’harmonie fragile de la vie des habitants : le bonheur simple de Kidane, de sa femme à la beauté farouche et de sa fille bienaimée, étendus sous leur tente, la cohabitation délicate des maigres vaches de Kidane et des filets du pêcheur Amadou dans le lac peu profond. Cette harmonie, même brisée, subsiste au cours du film dans d’autres séquences splendides, comme si elle renaissait inlassablement : celle de la mort du pêcheur, tué accidentellement par Kidane, qui prend une ampleur presque métaphysique ; celle, particulièrement audacieuse, de la danse d’un djihadiste au moment où un couple est lapidé ; ou celle, mythique, de jeunes garçons jouant au foot sans ballon comme s’ils dansaient autour de ce ballon imaginaire. Ces scènes sont encore magnifiées par une musique douce, aux accents parfois dramatiques.

Abderrahmane Sissako, en effet, a souhaité rendre compte des atrocités commises en 2012 sans sacrifier à l’horreur par un film sombre. Interviewé lors du Festival de Cannes 2014, il déclare : « On ne peut pas parler de l’horreur de la barbarie sans espérer ». Désireux avant tout de « communier avec le spectateur », comme il l’explique lors d’un autre entretien en dossier de presse, il ne cherche pas à choquer ou à effrayer mais à rapporter les témoignages recueillis avec humilité et pudeur. Il porte sur Tombouctou et les hommes qui s’y affrontent le regard plein d’amour et de tristesse du vieil imam qui essaie de raisonner les envahisseurs et les interpelle : « Où est la clémence ? Où est le pardon ? Où est Dieu dans tout cela ? ».

 

Tout en montrant les exactions commises – châtiments corporels, exécutions, mariages forcés… – Timbuktu conserve donc une grande douceur et privilégie la beauté des plans larges, les lumières changeantes du désert. La mort du pêcheur est filmée comme un grand tableau dans le somptueux décor naturel du lac au coucher du soleil. Le film suit le rythme de vie des habitants, lent, sans précipitation, et les hésitations des djihadistes qui, pour la plupart, semblent ne pas très bien savoir ce qu’ils sont venus faire là. Même leurs chefs restent humains et capables de ressentir des émotions. Ils s’expriment avec une étonnante douceur, voire avec courtoisie, loin des aboiements des bourreaux que l’on entend souvent dans les films de guerre ou d’occupation ; ils appliquent la prétendue justice divine dont ils croient être les garants avec rigueur, écoutent les accusés et exposent calmement leurs arguments. La violence s’exerce sans autres bruits que des détonations de kalachnikovs, quelques cris et gémissements, et les habitants de Tombouctou résistent ou se soumettent, souffrent et pleurent presque en silence.

Ce refus du spectaculaire et du manichéisme fait de Timbuktu un appel à la paix et à la sagesse qui force le respect, aussi bien pour la beauté poignante de ses images que pour l’audace rare de certaines scènes.
 

Titre original : Timbuktu

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Durée : 107 mn


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