Théo Angelopoulos, ambassadeur du cinéma grec

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Théo Angelopoulos est très certainement le cinéaste grec le plus connu à l’international. Comment son cinéma a-t-il été influencé par sa vie ? Comment a-t-il évolué au fil du temps ? Et enfin, comment est-il perçu par la critique et par le public ?

Des films influencés par la vie même

L’enfance d’Angelopoulos a été marquée par la guerre et les divergences idéologiques dans sa famille. Pendant la Guerre civile grecque qui a suivi la Seconde Guerre Mondiale, opposant les communistes et les nationalistes libéraux, la famille d’Angelopoulos fut divisée en deux camps. Le déchirement de la famille est un thème que l’on retrouve à plusieurs reprises dans l’œuvre du cinéaste.

Natif d’Athènes, c’est durant son service militaire (1959-1960) qu’il voyage à travers le pays et découvre la « Grèce de l’intérieur » : celle des villages reculés, des montagnes et des frontières, si présente dans ses films et si éloignée de l’image édulcorée que l’on connaît en tant que touriste.
Lors de son séjour à Paris (1961-1964), naît son affinité pour les idéaux du socialisme. Il suit des cours de philosophie et de filmologie à la Sorbonne, notamment ceux de Claude Lévi-Strauss. Il entre à l’IDHEC (grande soeur de l’actuelle FEMIS), dont il est renvoyé au terme de la première année pour « non-conformisme », suite à une dispute avec l’un de ses professeurs. Pendant cette période, il passe de nombreuses heures à la Cinémathèque de Langlois. C’est à cette époque que se forgent les goûts, les aspirations profondément humanistes et les ambitions cinématographiques d’Angelopoulos.

Théo Angelopoulos rentre en Grèce en 1964 et travaille pendant trois ans comme critique cinématographique pour un quotidien de gauche. Malgré son identification comme un radical, il n’a pas été emprisonné lorsque les colonels Papadopoulos et Patakos établirent la dictature, après le coup d’Etat du 21 avril 1967. Avec d’autres jeunes réalisateurs qui devinrent les meneurs d’une nouvelle vague de cinéma en Grèce, comme Voulgaris ou Katakousinos, il forma une communauté de cinéma dont les membres avaient pour habitude de se réunir régulièrement pour réaliser des films qui pouvaient passer au travers de la censure totalitaire sans pour autant dénigrer une portée politique.

Des chefs-d’œuvres

L’œuvre de Théo Angelopoulos n’est pas très abondante : 12 longs métrages en 35 ans de carrière. De Reconstitution (1970) à Eleni, la Terre qui pleure (2004), la filmographie du cinéaste grec regorge d’œuvres riches et fortes, de petits ou de grands chefs-d’œuvre, en tout cas des films dont on ne peut sortir indemne.

Au fil des années, l’approche d’Angelopoulos changea considérablement : moins de hors-champ et de sous-entendus, de destinées collectives et de distanciation critique ; plus de gros plans et d’épaisseur psychologique, d’empathie avec quelques personnages principaux, et de tragédie revendiquée. Mais son style aisément reconnaissable est toujours omniprésent : de longs plans-séquences, combinant à volonté travellings et panoramiques, toujours ce goût du détail, du décor, de la couleur, de la composition. Ses plans sont modelés comme des tableaux mouvants, construits par petites touches et maîtrisés avec une méticulosité sans faille.

Dans sa filmographie, plusieurs « périodes », correspondant à la fois à l’évolution historique de la Grèce et aux aspirations personnelles du cinéaste, sont à distinguer :

1. de 1970 à 1980, La Reconstitution, Jours de 36 et Le Voyage des comédiens restent des œuvres explicitement politiques : une trilogie de la dénonciation du fascisme en Grèce. Alexandre le Grand (1980) fustige la dégradation d’une idéologie socialiste sous l’effet du pouvoir ;
2. de 1983 à 1988, un cycle de trois films (Voyage à Cythère, L’Apiculteur, Paysage dans le brouillard) dans lesquels le registre explicitement politique disparaît au profit d’une aventure intérieure. La fiction prime alors sur les références historiques. Ces œuvres marquent le passage d’un temps historique à un temps existentiel, d’une mémoire collective à une mémoire individuelle. Angelopoulos nomma cette trilogie « la trilogie du silence » ;
3. de 1991 à 1998, avec Le Pas suspendu de la cigogne, Le Regard d’Ulysse et L’Eternité et un jour, la réflexion d’Angelopoulos ne se limite plus aux seuls problèmes de la Grèce, mais s’ouvre sur le monde. Ce sont des films au présent dans lesquels s’infiltre souvent l’Histoire ;
4. Eleni (La Terre qui pleure), sorti en 2004, marque un nouveau départ et se présente comme le premier volet d’une trilogie qui devrait retracer un siècle d’histoire de la Grèce à travers une histoire d’amour.

Les films Le Regard d’Ulysse et L’Eternité et un jour, qui font enfin l’objet d’une édition DVD, font partie, avec Le Pas suspendu de la cigogne, de la « Trilogie de la Frontière » ; des films très ancrés dans leur contexte historique de production, Angelopoulos ne parlant plus du passé mais du présent. Un présent synonyme pour lui de courants migratoires forcés, de déracinement, de guerre civile et de désenchantement quant à son idéologie socialiste.

Un cinéma adulé par la critique mais incompris par le public

La critique internationale remarqua le cinéaste dès Le Voyage des comédiens (1975). Une reconnaissance de plus en plus forte, jusqu’à son point d’orgue, la Palme d’Or à Cannes en 1998 pour L’Eternité et un jour, film qui synthétise parfaitement la carrière du cinéaste.

Il demeure cependant un bémol : son manque de popularité auprès de ses compatriotes. Ceux-ci lui reprochent de faire de l’ombre à d’autres cinéastes grecs qui n’ont pas la même renommée internationale. En quelque sorte, sa notoriété ne permettrait pas l’émergence à l’international d’autres réalisateurs moins connus. La critique n’est pas infondée (de nombreux autres réalisateurs ont offert des perles rares ces dernières années, que l’on n’a pas eu la chance de voir sur les écrans français), mais peut-on lui faire endosser le manque d’intérêt ou d’audace des distributeurs ?
Ses compatriotes grecs se moquent également de sa « lenteur » : des critiques de son esthétique qui « prend le temps » et finit par ennuyer ont été présentes dans les émissions télévisées satiriques au moment de la Palme d’Or en 1998.

L’autre reproche qu’on lui fait, c’est donc d’être un intellectuel inaccessible au plus grand nombre ; un cinéaste pour cinéphiles, non un cinéaste pour tous. Une posture finalement assez proche de celle d’un Jean-Luc Godard en France. Regarder un film d’Angelopoulos, c’est une véritable « démarche ».


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