The Myth of the American Sleepover : la légende des soirées pyjamas

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Contre-proposition teen : un film d’auteur US doux et cruel comme un dernier jour d’été.

Il a beaucoup été question du jeune cinéaste américain David Robert Mitchell durant le festival de Cannes 2014. Son second long métrage, It Follows, a récolté de gros applaudissements après sa présentation à la Semaine de la critique. Film d’horreur stylisé rendant son tribut aussi bien à La Féline (1942) de Jacques Tourneur qu’à John Carpenter, sa projection, ponctuée de jolis sursauts collectifs (même celui, suivi d’éclats de rire nerveux, lorsqu’une porte s’est ouverte en grinçant au fond de la salle…) a réveillé une partie des festivaliers, enchantés par ce détour dans une banlieue US où un groupe d’ados engourdis se débat pour ne pas mourir.

Quatre ans plus tôt, The Myth of the American Sleepover était présenté dans la même section cannoise. Il n’eut par la suite jamais droit à une sortie française en salles. À l’heure de sa sortie estivale en DVD, on remarque combien le second (film d’horreur) doit au premier (teen movie). L’intérêt pour le groupe adolescent tout d’abord, non pas comme entité sociale mais plutôt espace de regroupement un peu aléatoire, qu’on quitte dès que les atermoiements sentimentaux deviennent trop importants. Dans le film d’horreur, d’inspiration slasher, l’isolation du groupe est le signal d’une mort imminente, tandis que dans la chronique adolescente que propose The Myth of the American Sleepover, elle permet à l’individu, outre les belles déambulations nocturnes, de se chercher.

Derniers jours d’été. Le film se découpe en plusieurs moments : une soirée pyjama, la nuit qui suit et son lendemain à peine dévoilé, journée de la parade estivale dans la banlieue de Detroit où prend place l’action. Une bande hétéroclite de personnages se dessine progressivement, à traits doux, par un réalisateur plus désireux de capturer la mélancolie de l’enfance qui s’achève que de faire le compte des problèmes teens. Ainsi, le mythe dont il est question dans le titre, celui des « soirées pyjamas » où les copains et les copines vont dormir les uns chez les autres est ici le prémisse à de véritables fêtes adolescentes, parfois même déjà le prétexte à faire le mur vers des horizons plus risqués.

Installée dans une esthétique soignée – grands angles construits, photographie surannée et lumière très blanche -, la mise en scène un peu éthérée rappelle parfois le Gus Van Sant de Paranoid Park (2007), avec un rythme bien plus languissant. À son image, les personnages sont calmes et se déplacent avec lenteur. À peine caractérisés, presque figurines aux contours flous, ils dégagent justement une atemporalité assez bienvenue : presque tous sont loin des physiques habituels des jeunes ados du teen movie. Ils n’en ont d’ailleurs presque pas l’énergie, hormis lors d’une jolie scène de danse. Le film regorge par ailleurs de motifs traditionnellement associés au teen movie : le lycée (bien que désert pour encore quelques jours), une soirée improvisée au bord d’un étang, un Ouija sur lequel on convoque les esprits et bien sur quelques bouteilles d’alcool.

Malgré ces quelques rappels au genre, l’intérêt du cinéaste est ailleurs : représenter la circulation du désir, impalpable et incompréhensible pour plusieurs personnages, notamment lors de nombreuses scènes de déambulations ; l’attirance d’un garçon pour la sœur aînée d’un copain, celle feinte de la jeune athlète mécontente d’avoir été trompée, jusqu’à l’attirance inavouable du bon copain pour son meilleur ami indolent ; la plupart des personnages se laissent ainsi guidés par leurs attractions, déambulent de porches en sous-sol, parfois jusqu’en au haut d’un toboggan, suivant le cours d’un scénario a priori très lâche, mais in fine très déterminant.

Durant la balade, la caméra de David Robert Mitchell n’aura de cesse de chercher l’émoi au détour d’un regard, d’une maladresse, offrant même quelques plans dont la beauté abstraite touche justement à la sensation de perte qui innerve tout le film et ses protagonistes : une étoile filante manquée par un garçon, des numéros de téléphone griffonnés sur le bras d’une fille, la dernière nuit avant une rupture. Manquer ces infimes moments fait courir le risque aux adolescents de passer à côté d’eux-mêmes, de rater ce petit quelque chose d’essentiel. Malgré le rythme langoureux du film, les personnages savent qu’ils n’ont plus que quelques heures avant la rentrée et le retour des parents pour concrétiser les promesses de l’été. De premières fois manquées en baisers remis à plus tard, tout est affaire de dosage entre la mélancolie d’enfance disparue et la terreur exquise de débarquer dans la cour des sentiments adultes.

Le plus bel exemple est celui d’un grand frère revenu de la fac, dont le cœur brisé tente un baume par le souvenir d’un ancien béguin de lycée. Seulement son coup de cœur va vers deux sœurs jumelles. Originalité qu’il est bien en peine d’exprimer sans passer pour un doux pervers auprès des filles qui en ont vu d’autres. Son incapacité à choisir et la sincérité de son attirance, égale envers les deux jeunes filles, témoigne encore une fois de la discrète audace du film. L’indissociabilité du désir et les multiples formes qu’il prend le temps de l’adolescence n’ont pas fini de fasciner. Il en est de même, semble démontrer la profonde simplicité du film, pour les déclinaisons du teen movie, genre aussi mutant et diffus que ne l’est son sujet.

 

Titre original : The Myth of the American Sleepover

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Durée : 96 mn


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