The Host (Gwoemul)

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Le cinéma sud-coréen semble invariablement cathartique. Il est surprenant de voir comment les cinéastes émergents composent avec le passé. En France, au début des années 60, les Godard et autres Rivette étaient plutôt dans le déni de l’Histoire au profit d’une poésie du factuel : exalter le présent pour refuser toute introspection en somme. Tandis […]

Le cinéma sud-coréen semble invariablement cathartique. Il est surprenant de voir comment les cinéastes émergents composent avec le passé. En France, au début des années 60, les Godard et autres Rivette étaient plutôt dans le déni de l’Histoire au profit d’une poésie du factuel : exalter le présent pour refuser toute introspection en somme. Tandis que l’expiation du passé empreinte, pour la Nouvelle vague coréenne, la voie d’une violence outrancière et bien souvent satirique.

La mémoire sud-coréenne était-elle endormie qu’un hôte indésirable s’empresse de faire ressurgir les vieux démons d’un pays encore meurtri (par les occupations japonaises puis américaines, la dictature de Park Chung Hee…). La bête informe est explicitement la métaphore d’un passé dévorant et mortifère. Elle est aux Coréens ce que Godzilla fut aux Japonais concernant Hiroshima. Toute la panoplie de l’oppression dictatoriale est ravivée. La désinformation d’abord, la répression policière et la délation aussi. Le virus dont est soi-disant porteur le monstre fait étrangement écho aux accusations nord-coréennes et russes à l’encontre des Américains concernant l’usage d’armes bactériologiques et la propagation d’ « insectes vecteurs » de la peste ou du choléra. Le prologue lui-même renvoie à des évènements qui ont réellement eu lieu dans les années 90.

La forme sied parfaitement à ce fourre-tout mémoriel. C’est un magma de genres. Bong Joon-Ho joue et se joue des styles successifs : comédie, tragédie, horreur, film de genre américain, épopée…Le cinéaste mitraille à coups de cuts brutaux : à une séquence d’intense suspense succède immédiatement un désamorçage burlesque (de ce burlesque hystérique dont seuls les asiatiques semblent avoir le secret). Le réalisateur coréen s’est offert un gros jouet satirique. Tout est sciemment détourné. Les poncifs du genre sont piétinés. L’apparition de la créature, par exemple, n’est pas différée comme dans les films de monstres classiques. Il ne faut pas plus d’un quart d’heure pour voir l’hôte surgir de l’eau et déchiqueter tout ce qui bouge. Aux grandes envolées sentimentalo-dégoulinantes du blockbuster américain « de base » se substitue un théâtre de l’absurde plein de bruit et de fureur (voir ce ballet des corps en plongée qui se tord littéralement de douleur avant d’en venir aux mains lors de la cérémonie commémorative). La fin n’est pas non plus celle que l’on attend, même si les anti-héros du début se muent finalement en de soudaines figures épiques.

Ce que l’on pourrait reprocher à ce film, c’est son rythme sous acide, parfois proche de l’esthétique clipesque. Les rares pauses, s’il en est, s’incarnent dans des ralentis d’un lyrisme discutable. Il n’est pas si sûr d’arriver au but escompté en se contentant de vicier les rouages de « l’entertainment » classique. Bong Joon-Ho reste en partie tributaire du cinéma qu’il raille, sa démarche étant virtuose mais limitée, elle ne possède pas la verve subversive que d’autres ont pu avoir avant lui. En prenant son temps, Memories of Murder, son premier film, s’avérait finalement plus efficace.

Reste l’épilogue qui marque l’accalmie après l’acmé flamboyante. Il revêt des allures de morale de conte. Le fils aîné Gang-du (déjà acteur dans Memories of murders) monte la garde et dit la nécessité de rester vigilant. Les forces réparatrices sont à l’œuvre, mais la nouvelle génération doit assimiler, digérer son passé sans pour autant s’assoupir. La situation sud-coréenne est à l’image du snack final : petite bâtisse précaire qui peut vite être renversée…

Titre original : Gwoemul

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Durée : 119 mn


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