Still Walking (Aruitemo, Aruitemo)

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Revitalisant le film de famille cher au cinéma nippon, « Still Walking » détonne par sa capacité à transformer l´ordinaire et le quotidien en un véritable éblouissement des sens. Un film étonnamment frais d´une admirable facture.

Il est un lieu commun pour lequel les japonais, en art mais également dans d’autres domaines, auraient tendance à observer, sous l’influence de leur milieu géographique, les frémissements de la Nature plutôt que les grandes catastrophes régissant cette dernière et, par conséquent, à accorder plus de poids aux détails qu’aux ensembles. On pourrait trouver maints exemples en pleine contradiction avec cette idée ; comme tout lieu commun, la vérité exprimée là ne tient qu’à un fil. Toujours est-il, toutefois, que Still Walking, le nouveau film de Kore-Eda Hirokazu, vient se tenir en parfait équilibre sur ce fil.

Cuisiner

Le ton, dès les premières séquences, nous est donné. Dans une cuisine, deux femmes préparent un repas tout en discutant entre elles. Leurs gestes sont découpés en gros plan tandis que leur conversation se mêle aux différents bruits liés à leurs activités. Epluchés, lavés et frits, des légumes occupent à l’écran la place qu’un autre cinéaste aurait entièrement prêtée aux personnages. Le choix s’explique dans la mesure où ce n’est pas tant la situation qui importe – le fait de préparer à manger est somme toute très anodin, que les « remous » sonores et visuels que celle-ci à même de déclencher.

On comprend en effet, plus loin dans le film, qu’il s’agit bien moins de suivre le déroulement d’une histoire proprement dite, que d’aménager une suite de moments vécus et partagés par les différents protagonistes. A l’affut du moindre détail, la caméra de Kore-Eda s’invite au plus près des personnages, la plupart du temps au ras du sol, et semble chercher à filmer, dans une même optique, au ras du présent. Le style est remarquable : le cinéaste feuillette le vécu des protagonistes, comme on cuisine, précisément, toute sorte de légumes…

Vivre et mourir

Ayant fait ses débuts dans le documentaire, Kore-Eda s’applique avec Still Walking à détourner le modèle fictionnel type de ses assises. Sa recette consiste à injecter au récit un maximum de réalisme, ou plutôt à prendre pour point de départ non le récit, mais la vie en tant que telle. Une famille relativement ordinaire se retrouve pour la première fois depuis un certain temps dans la demeure familiale afin de commémorer l’anniversaire de la mort de l’un des leurs. Si les conflits entre les différents personnages semblent latents et prêts à éclater, rien, néanmoins, ne vient perturber le cours de leur existence, pendant les 24 heures sur lesquelles se concentre le récit.

 

Pas de drame, donc, à l’horizon – si ce n’est le fait d’être là, de vivre et de mourir, mais, en un certain sens, pas de véritables personnages non plus. Les acteurs à aucun moment ne donnent l’impression d’interpréter des rôles, mais paraissent incarner, tout au contraire, de simples gens. Aucun des protagonistes n’est résolument sympathique, ni antipathique : tous se valent dans la mesure où, selon les occasions, chacun a une personnalité à défendre ou un point de vue à offrir.

Se souvenir

Il serait faux, néanmoins, de prétendre que le regard de Kore-Eda sur les micro-événements de son film s’assimile à un œil grand ouvert sur le Monde. Subtile et nuancée, la mise en scène du cinéaste n’engage en aucune manière un quelconque détachement à l’égard du filmé. Si l’on devait qualifier le type de posture prôné par le cinéaste, il faudrait bien plutôt parler d’une forme débordante de générosité. Kore-Eda met à nu les sentiments des différents protagonistes, comme s’il lui fallait chercher à tisser la toile de sa propre sensibilité.

Dans les interviews qui lui sont consacrées, le réalisateur japonais ne cesse d’affirmer que l’impulsion à l’origine de Still Walking renvoie au décès de sa propre mère. Vu sous cet angle, le processus créatif à la base du film consiste à transposer sur un plan objectif le cheminement d’une expérience on ne peut plus intime et personnelle – à savoir, les derniers jours passés aux côtés de la mère. Ainsi, loin de renvoyer son film au passé dont il est issu et de désigner ses souvenirs pour eux-mêmes, Kore-Eda choisit de déployer au présent et au grand jour les meurtrissures indissociables de sa propre subjectivité.

Illuminer

La mort de la mère – mais aussi celle du père, évoquée à la fin du film, ne peut constituer, selon Kore-Eda, le point d’aboutissement d’une histoire. Ce serait là, justement, se détacher des choses et finir par ne plus rien voir. Ce qui fait la force du film, ce n’est pas vraiment le fait d’y avoir mis quelque chose de soi, mais de parvenir à assumer tout cela, sans fioriture, ni aucun détour. Le cinéaste, en d’autres termes, nous fait partager ce que lui-même a vécu, tout en rattachant ce vécu dans le cadre d’une famille autre que la sienne.

Le travail de Kore-Eda, dans cette optique, consiste à substituer au cheminement du récit une succession de climats. Les détails si nombreux dans le film ne viennent pas étoffer le récit, dont ils ne seraient que le revêtement, c’est à l’inverse le récit qui vient se greffer sur les détails. D’où le soin apporté aux différentes teintes de lumière correspondant au déplacement du soleil, puis à son coucher, en cette journée d’automne dépeinte par le film. D’où l’importance, également, d’une grande variété de sons et de bruits par l’intermédiaire desquels le film trouve matière à respirer…

Comme dans la vie, on finit par se souvenir du film de Kore-Eda que des petites choses, des sensations, des impressions, des éblouissements. En cela, Still Walking est une œuvre magistrale.

Sortie le 22 avril 2009

Titre original : Aruitemo, Aruitemo

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Durée : 115 mn


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