Stella

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Stella ou Sheila ? Bercé dans les seventies, au rythme de Love me Baby, Sylvie Verheyde dessine un portrait plus profond qu’il n’en a l’air, et distille un film dont la distance avec son personnage parvient à ravir par sa rareté.

« J’ai peur. J’ai peur de tout ». Cette phrase finale, dite par Stella enfant de11 ans, répercute sur le film un regard nuancé. Point d’aboutissement de son quasi-mutisme : cette révélation une grande surprise. Après le récit d’un affront avec sa classe de sixième et d’une confrontation au bistrot de ses parents, cette réplique étonne. Voix adulte et regard innocent, mot cru et débit lent, visage apeuré et lucidité mature.

Avec Stella, Sylvie Verheyde imprègne son troisième long-métrage d’une falsification du récit (au sens premier, littéraire) pour y intégrer la preuve tangible d’une oeuvre qui ne souhaite pas atteindre son degré maximal de fiction. Loin de parvenir à un film bancal et inabouti, la cinéaste peaufine et entretient les résidus de son acte créateur. Immanquablement, la présence de Sylvie Verheyde est autant prégnante que celle de Stella. Il ne s’agit pas de reconnaître la patte d’un auteur (valable pour chaque film), mais de déceler – et d’applaudir- la capacité de Stella à révéler dans un processus filmique la présence du regard, la sensibilité d’une réalisation. Stella est le récit d’un envol où la caméra regarde, guette, protège et accompagne l’héroïne dans la prise de conscience de son nouveau départ, dans un au-delà non-diégétique (dans le sens actuel, non chargé de fiction). Mais si tout était une question de distance…

L’image d’après : Stella ou Sheila

Comme son nom l’indique, Stella s’associe à Etoile ou à son mot anglicisé. Telle une star – ou une Sheila rajeunie-, filmée en contre-plongée, dans un tourbillon de paillettes, maquillée, elle demande a être aimée, accusant le coup par un regard caméra. La réalisatrice, d’emblée, présente son héroïne comme une protagoniste à part, bercée dans un rythme langoureux de lumières étincelantes. En une fraction seconde, avec l’image d’après, dans la même relation temporelle, tout change : un bar, des ivrognes au coeur tendre et une voix-off. Stella, à la fois à l’aise et toujours curieuse, rentre de l’école où elle espère devenir « comme les autres », s’adapter à un milieu différent. Devenir comme eux mais constater qu’ils ne « sont que des enfants, à se coucher à 20h sans regarder la télé ». Indéniablement, Stella est une enfant pas comme les autres…

Grâce à cette ouverture pailletée, enchaînant sur l’ambivalence du milieu ouvrier décrit, Stella indique son intention de distanciation. Bizarrement, cette notion de distance portée par le cinéma des années 70, correspond aussi au temps dans lequel est ancré Stella. Mais au contraire de la doctrine des seventies, plutôt que de choquer le spectateur par la dilatation du temps et l’anti-héros, la distanciation dans Stella découle d’une fluidité inhérente à l’acte de créer et non au récit même. Toutefois, il ne faut pas y voir un film « qui se fait ». Stella est l’application structurée du processus filmique, autrement dit la dilatation filmée du travail d’un auteur, le passage de relais entre la fiction et l’incarnation.

Le portrait désintégré

La réalisatrice est attirée par Stella, en dessine le portrait (donc s’empare de sa présence et de ses pensées), puis s’en détache pour mieux la laisser vaguer à son destin. Débutée par une image glamour, idéalisée, c’est la voix off, matière première du récit, qui prend le relais de cette ouverture.  Tout d’abord, assez lourde, elle prend progressivement, sous ces accents innocents, un ton moqueur et tendre, renvoyant à la propre voix de la réalisatrice. Par cela, s’institue la première distanciation, un éloignement fictionnel.  Le final conclut cette entreprise en deux temps. La voix-off n’existe plus, mais c’est désormais Stella qui parle en son direct ; puis durant le générique, « la fin du début », sa voix enfantine et protectrice devient celle de la réalisatrice dans « La chanson de Stella » : «  J’ai 11 ans, je suis grande, je m’appelle Stella. Je vais vite.. vite….. Je ne veux pas en rester là. »

Stella est l’équivalent d’un passage de l’écrit à la mobilité, puis à quelque chose qui nous échappe mais qui reste ancré dans les sens. L’importance portée à différents effets esthétisants demeure alors logique. La caméra se détache progressivement de Stella, vue petit à petit en plan large, lui accordant de l’espace mais tout en demeurant attachée, désormais comme un oeil protecteur, qui guette et accompagne.

En trois temps, magnétisme, incarnation fictive et détachement, Sylvie Verheyde concocte un message personnel et obligatoirement cinématographique. Et comme pour mieux appuyer cette idée, de manière plus triviale, le nom Stella renvoie aussi a stelle en italien. Ce mot définit la place, le lieu, l’endroit et sans cela Stella ne serait rien. Cette jeune héroïne est au centre de la place, le lieu de toute les attentions (mauvaise parce qu’elle vient d’un milieu différent, et aimée par les clients du bistro), et l’endroit où elle n’est pas encore, vers lequel elle court. Car finalement, c’est tout ce qu’on peut attendre du cinema, qu’il reste présent au-delà de l’image. Stella est la synthèse de cela : la dilatation d’un récit vers une vie extérieure, la perte de la fictionnalité.

Titre original : Stella

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