Starship Troopers (Paul Verhoeven, 1997)

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« Starship Troopers », c’est la quintessence de la face trublionne de Verhoeven, l’horizon vers lequel tendrait cet aspect de sa carrière porté sur le pur iconoclasme.

« Oui ben vous foutez pas de la gueule d’Himmler, il pourrait revenir. » Pierre Desproges

 

Ereinté par une critique rétive à ses efforts, notamment Spetters et Soldier of Orange, Paul Verhoeven quitte sa Hollande natale en claquant la porte avec autant d’élégance que de fracas : il fomente De Vierde Man, film léché mais volontairement totalement creux, bourré de symboles astucieux et stériles aptes à faire illusion dans les cercles d’influence des phagocytaires culturels. Le film est conçu comme un piège à Tartuffes, et fonctionne parfaitement : les critiques visés sont dithyrambiques. C’est le moment choisi par le monsieur pour publier un communiqué dévoilant la supercherie et partir vers d’autres horizons censément plus cléments. Pas assagi pour deux ronds (il suffit de voir Flesh + Blood) le « Filming Dutchman » entame une carrière mouvementée à Hollywood, enchaînant des métrages dans une logique similaire, à savoir basés sur une subversion systématique de leurs principes de façade. Il passe ainsi du thriller à script très moyen (même routinier) où il impose une grande classe de mise en scène et attire toute l’attention sur un plan célèbre d’entrejambe (Basic Instinct) à l’actioner science-fictionnel devenant réflexion sur l’identité et le libre arbitre (Robocop, Total Recall), en passant par le film « sexy » qui dynamite tout un pan des valeurs américaines de la libre entreprise et de la bonne moralité (Showgirls, encore incompris, qui se permet de mettre à poil et  faire se friter une inoffensive égérie de sitcom), le tout doublé d’odes au mauvais goût propres à interroger le sens même des images montrées (Total Recall encore et sa direction artistique volontairement hideuse, la violence démentielle et craspec de Robocop). Peut-on y voir l’une des raisons d’une filmographie assez peu prolixe aux Etats Unis (1) ?

Starship Troopers semble une bonne réponse à cette question, et on se demande encore quelle mouche a piqué les exécutifs de TriStar et Touchstone, leur insufflant assez de courage (ou d’inconscience) pour confier une telle fable guerrière et politiquement chargée, précisément au type le plus susceptible d’en faire exploser le potentiel pamphlétaire. Le récit original n’est déjà pas anodin en soi. Etoiles, garde-à-vous, publié en 1959 par Robert Heinlein, est bien entendu une réaction de son auteur envers une certaine désaffection de la chose militaire au sortir de la guerre de Corée. Le roman, avec sa forme alternant action cathartique et incises démonstratives (nombreuses discussions politiques et morales), sert surtout de véhicule à un discours très marqué à droite, de son anti-communisme sans nuance (les arachnides forment une société collectivisée à l’extrême et contrôlent littéralement, physiquement, les esprits humains via des sondes organiques) à sa défense, pêle-mêle, de l’embrigadement des jeunes gens dans l’armée, des conscriptions, de la peine capitale, et globalement d’une méritocratie très teintée de nietzschéisme ou seuls les vétérans ont le droit de vote. Cette optique, très populaire dans la science-fiction américaine de l’époque où les paraboles anti-communistes fleurissent mais se contentent souvent de gloser sur le seul péril rouge, s’y voit donc appuyée par une idéologie du volontarisme que n’auraient pas renié les grands totalitarismes européens, dont les cadavres sont encore fumants. Ce type de discours se verra d’ailleurs repris par les Etats Unis lors des conscriptions pour le Vietnam et de la lutte idéologique avec une jeunesse plus marquée à gauche.

 


Après l’Histoire

A la fin des années 90, la donne semble différente, du moins à la surface des choses. Car à la réflexion, dans un contexte de Pax Americana (2) pas encore assombri par le scandale du syndrome de la Guerre du Golfe, le patriotisme se porte beau à Hollywood, et Etoiles, garde-à-vous vient d’être officieusement adapté dans son idéologie, sinon dans son libellé, en l’occurrence par le biais du film Independance Day (1996). Propagandiste, anthropocentré, ethnocentriste, belliciste, le film d’Emmerich entretient plus que des accointances idéologiques avec le coeur de la pensée que relaie Heinlein, dont le roman figure encore sur la liste des lectures recommandées par le corps des Marines et celui de la Navy…

Penser que Paulo allait marcher sur ces traces semblait pour le moins malavisé. En effet, plus tard dans la décennie, Emmerich se défendra en déclarant qu’ID4 était ironique, un commentaire subtil à côté duquel le monde serait passé… Ce qui apparaît tout de même nébuleux au rayon excuse facile. Dans l’optique de jeter une salubre lumière sur ce qu’il conviendrait d’appeler un contexte politique et culturel préfasciste, l’adaptation de Starship Troopers fait justement le pari de restituer l’esprit du roman original, apparemment sans filtre. La polémique qui a fleuri à la sortie du film, criant sur les toits que Starship Troopers était un film fasciste, était ainsi paradoxalement dans le vrai : Starship Troopers est, dans sa construction et son premier niveau de lecture, un film fasciste au sens où le film fasciste peut être vu comme un genre à part entière, dans la mesure où il utilise et même reprend à son compte des éléments constitutifs des films de propagande des régimes totalitaires (du Triomphe de la Volonté aux courts métrages pétainistes en passant par les films italiens et soviétiques de l’époque). Là où les loups ont hurlé faux, c’est bien entendu dans le fait de penser que le film était, pour cette raison précise, fascisant (3) . Il est amusant d’observer à ce titre que nombre de cinéastes ont été frappés d’anathèmes, accusés de fascisme (le mot jouit depuis 40 ans d’un effet de mode médiatique dans certains cercles culturels bien mis qui ne semble pas devoir se démentir), de nazisme rampant même, précisément lorsque leurs films font appel à l’intelligence du spectateur sur de tels sujets : Tinto Brass pour son Caligula, Ferreri pour La Grande Bouffe, Tobe Hooper pour Texas Chainsaw Massacre (4) , ou Hirschbiegel pour Der Untergang (ah, cette inénarrable critique de Wim Wenders!) ont fait les frais de telles polémiques. Verhoeven ne fut bien entendu pas épargné.

Ce qui est intéressant dans le phénomène, c’est que des cinéastes dont les sympathies pour l’extrême droite étaient notoires (Zefirelli, Autant-Lara) n’ont jamais été inquiétés par ce genre de saillies… Il est évident que ces « débats » sont la plupart du temps totalement creux pour peu qu’on jette un œil sur les films incriminés. Le simple fait que le scénariste Ed Neumeier apparaisse dans le film en tant que condamné à mort dans l’un des clips de propagande d’Etat infirme de telles spéculations. Autrement dit, Verhoeven vous montre un film de propagande pour vous pousser à la réflexion sur le fait de le prendre, ou pas, pour argent comptant. Au delà de tous les indices qui sont jetés au visage du spectateur, plusieurs prises à partie directes via la caméra laissent peu de doute sur ce point : la séquence d’ouverture sous forme de reportage de guerre, un regard-caméra dubitatif du journaliste après le « kill’em all » de Johnny, et ce même Johnny lors de la destruction de Buenos-Aires demandant « Hey! What’s goin’ on ? », question à prendre au premier degré puisque posée directement à la salle de cinéma. Loin de nous l’idée de déclarer que quiconque ne pleure pas devant Starship Troopers possède le gène du nazi. Il serait déplacé de plagier ainsi la fine fleur de notre cinéma national (5) . Quoique :

 

C’est tout de même l’autre motif dominant du film : l’instrumentalisation du drame à des fins idéologiques passablement crapuleuses. Du point de vue de la dramaturgie, la séquence-clé du récit est bien évidemment celle de Buenos-Aires rasée par un météore arachnide, et qui fait directement référence à Pearl Harbor. A partir de cet acte de guerre, dont on crée ensuite commodément le caractère d’acte fondateur des hostilités en faisant fi des évènements précédents (l’expansionnisme panspatial de la Fédération, l’implantation des Mormons sur Klendathu), l’ensemble des personnages se jette à corps perdu, et sans se poser plus de questions, dans une guerre qui de toutes façon conditionne leur persona sociale. Le discours officiel qui suit prône directement la suprématie humaine et débouche sur une sorte de super-Baie des Cochons teintée de bourbier Vietnamien. Ne manque que la qualification de l’évènement en « jour marqué du sceau de l’infamie »… C’est aussi à partir de là que les spots propagandistes enclenchent la seconde et se font ouvertement belliqueux, avec notamment le spot du « visez directement les centres nerveux » et celui prônant le piétinement de cafards avec sa mère de famille hystérique, qui fait certes réponse à la séquence de dissection intervenant au début du métrage (niant d’emblée tout statut d’interlocuteur aux insectes géants, considérés comme des animaux ). Néanmoins, c’est à partir de cette attaque que la guerre totale est déclarée, mais aussi que Johnny s’engage à corps perdu dans l’idéologie fascisante de son armée, pour plus tard oublier son premier amour dans les bras de Dizzy, elle aussi complètement acquise à la cause (voir sa saillie sur l’engagement lors de la tentative d’abandon de Johnny au camp d’entraînement). Cet acte achève d’ailleurs de discréditer Carmen aux yeux du public, qui la voit alors définitivement comme une dilettante, son engagement (vis-à-vis de Johnny, mais aussi de la Fédération) n’étant pas assez affirmé ! Les cartons de projections-test sont éloquents à ce niveau, et montrent le piège rhétorique tendu par Neumeier et Verhoeven.

 

Ce piège consiste à prendre un certain nombre des représentations populaires ou culturellement marquées de la culture populaire occidentale – et plus précisément du cinéma mainstream hollywoodien –, et à les observer en faisant un pas de côté, pour les mettre violemment en parallèle avec d’autres propagandes. Le discours résultant est bien sûr que tous les totalitarismes (politiques, culturels, sociaux, de droite, de gauche ou même religieux) fonctionnent sur les mêmes mécanismes sociétaux, quelle que soit la matière du gant qui entoure la main de fer. Fonte émaillée de rouge et noir pour les utopies dures à la Orwell, ou velours pastel pour les utopies douces à la Huxley, l’effacement de l’intellect et du sens critique reste sensiblement le même : l’individu mis au service d’un système qui ne souffre aucune contestation de sa légitimité (6) .

La Minute de la Haine

Cette rhétorique s’appuie sur deux modes opératoires. Le premier, le plus évident, est imputable plutôt à Verhoeven. Il consiste à reprendre des motifs ouvertement rattachés au nazisme, au fascisme ou aux heures les plus identifiables (et pas nécessairement les plus sombres) d’une certaine histoire occidentale et américaine. On trouvera donc les symboles de la gouvernance au sein de la fédération, à commencer par l’aigle frappant les drapeaux, symbole qui possède l’intérêt d’être commun aux pays de l’Axe lors de la seconde guerre mondiale, mais aussi aux Etats-Unis modernes ou à l’empire Romain. La référence plus ou moins évidente à des évènements qui font partie de l’inconscient historique américain complète le tableau : Pearl Harbor, Grenade, plus tard les bombardements sur Tango Uria qui évoquent le napalm et le siège final qui cite ouvertement Fort Alamo. La manière dont sont présentés les spots de propagande, titrés « Why We Fight » (citation des bandes de Capra lors de la seconde guerre mondiale) ou « Countdown to Victory » (référence ouverte à la couverture par CNN de la première guerre du Golfe, très orientée elle aussi) , convoque bien évidemment l’imaginaire des films éducatifs du milieu du siècle. D’autres symboles sont encore plus explicites, comme les coups de fouet disciplinaires (présents aussi dans le livre) ou l’iconographie nazie très présente, comme les uniformes ouvertement gestapistes du service stratégique. A propos de Gestapo, le casting du très aryen Casper Van Dien ne semble pas accidentel, dans la mesure ou le personnage de Carl (joué par Neil Patrick Harris, jusque là connu pour des rôles dans des séries télé… tiens donc, comme Elizabeth Berkley dans Showgirls, plus connue alors pour ses prestations dans la série Saved by the Bell – Sauvés par le gong ! Subversion, subversion…) évolue physiquement au fil de sa coulée dans le moule idéologique que représente son uniforme noir et cintré : de brun au début du film, il devient blond platine en dernière bobine ! Loin d’être le bouffon anodin de teen movie qu’il à l’air d’être au début, Carl semble jouer le rôle d’indicateur des réelles intentions des auteurs. Un bleu de méthylène thématique dont on se demande encore comment les détracteurs du film ont pu ne pas le voir.

 

En témoigne ce raccord abrupt au début du métrage, entre la séquence où est évoquée la télépathie et ses possibilités de contrôle des esprits (dernier plan sur Carl) et la séquence de Football (premier plan sur Carmen dans le public, qui répond au précédent comme un contrechamp). Ce bon vieil effet Koulechov finit d’unir les deux plans en un commentaire acerbe sur la gouvernance.

C’est le second mode opératoire, qui montre d’anodines pratiques culturelles qu’on a vu tellement souvent dans le cinéma américain qu’on ne les remet même plus en cause, tant on les a intégrées dans notre propre imaginaire (même lorsque lesdites pratiques sont strictement nord-américaines, comme le bal de prom night par exemple, ou la notion même de cheerleader, que l’on gagne en même temps que le match). C’est Neumeier, américain de souche de ce projet bicéphale, qui joue avec ces codes. Ici, outre que ces occurences sont montées en parallèle avec les pires horreurs du régime – peine capitale multidiffusée, gosses de douze ans en uniforme ou à qui on distribue des fusils, charniers – elles sont trop ripolinées, trop clinquantes, et font avancer l’intrigue de manière trop mécanique pour être honnêtes. On citera le météore de Buenos-Aires qui croise dans un premier temps le vaisseau de Carmen et Zander au moment même où ceux-ci le pilotent. Ou encore la stratégie footballistique de Johnny, qui lui permet dans un premier temps de gagner ses galons, puis à une autre occasion de sauver sa garnison en tuant tout seul un scarabée géant. Les dialogues sont à cet égard très amusants, soit dans leur cucuterie excessive (« Chaque fois qu’on est tous les trois, j’ai l’espoir qu’on peut sauver l’univers ») soit dans le double sens malicieux que leur confère le contexte (le dialogue de la salle de classe). La seule autorité morale identifiable dans le film, le professeur Racsak, est caractérisée de la même manière excessive-mais-pas-tant-que-ça-finalement : de théoricien de l’idéologie dominante, il devient acteur belliqueux du conflit, et récupère à l’occasion sa puissance et sa virilité, conférée par l’Etat en l’objet de sa main prosthétique. Pour preuve, il se permet même alors de prodiguer des conseils d’hygiène au couple. Le tout fait du film dans son entier un long pastiche de film propagandiste (les inserts du film dans son générique de début ne laissent aucun doute à ce sujet), contenant son propre commentaire implicite dans la fausseté apparente de son écriture.

 

Les deux démarches se rejoignent dans leur façon de reprendre la structure classique des films de guerre des années 50/60, ceux ou une jeune recrue idéaliste grandit au contact de la bataille et apprend patriotisme, valeurs républicaines et sens du devoir. Toutes les séquences-clé sont ainsi placées, et dans l’ordre, dans ce Starship Troopers : dernier baiser à la petite amie, classes avec un sergent-instructeur sévère mais juste, montée en grade, camaraderie, confrontations interpersonnelles suintant la testostérone, retrouvailles au front avec un ami du civil, personnage préférant baisser dans la hiérarchie pour vivre selon ses désirs, haut gradé désavoué, etc.. L’idée de la simulation de combat avec les lasers est par exemple une citation directe des Douze Salopards, mais encore une assortie de l’ironie consistant à bien montrer une situation schématisée au travers des couleurs bien différenciées des rayons et des casques d’équipes. Verhoeven/Neumeier nous montrent d’ailleurs tout au long du métrage des situations plus complexes que les interprétations directes faites par le dialogue.

 

 

Kill’em all

Le traitement des arachnides en est le meilleur exemple. Dans l’ensemble des cas, l’humain, persuadé d’être le sommet de l’évolution, notamment par la grâce de la technologie, se voit mine de rien tenir une dragée sacrément haute par des insectes sociaux. Ces derniers se montrent en effet plus unis et moins dispersés que leurs ennemis : au moins 6 espèces différentes combattent et cohabitent dans un ensemble parfaitement complémentaire, là ou la Fédération multiplie les erreurs stratégiques, et où les militaires se méprisent entre corps d’armée, voire se bagarrent entre eux. Le parallèle humains/arachnides est ainsi permanent, puisqu’ils sont montrés côte-à-côte dans les charniers, font l’objet de la même violence décomplexée (on est amené à prendre le même plaisir à voir les uns et les autres se faire démastiquer de manières multiples et amusantes) et de la même caractérisation basée uniquement sur la fonction au sein du groupe : le troufion sympa, le violoniste, l’ambitieux ou le suiviste un peu épais sont les pendants du soldat arachnide, du tanker ou du brainbug. Ils sont d’ailleurs l’objet de la même optique désexualisée renvoyant autant au politiquement correct étasunien des années 90 qu’au mouvement naturiste allemand de la fin du XIXeme siècle (7) . La séquence de douche mixte, totalement dénuée de tension sexuelle ou érotique (et d’ailleurs la scène d’amour entre Johnny et Dizzy est elle-même strictement fonctionnelle), résonne étrangement avec la séquence de dissection où il n’est fait état d’aucun organe sexuel… On revient à l’individu réduit à néant, au service d’un système belliciste, enseigne des totalitarismes sous laquelle humains et non-humains sont logés de la même manière, ce qui constitue encore une fois le cœur même du discours défendu par le film.

 

 

Les arachnides sont tout de même le cœur du show, et l’autre élément qui fait de ce Starship Troopers un film marquant. Techniquement, le film constitue une date peut-être plus marquante que Jurassic Park. Petit historique : Phil Tippett, génie du stop motion, a conçu et animé le E-D 209 de Robocop (et le Caïn de Robocop 2) selon ce procédé, qui devait être celui des dinosaures du film de Spielberg. A la transition numérique des effets du film, il se forme sur le tas avec le résultat qu’on sait. Un cran de taille est passé avec Starship Troopers, qui présente non seulement enfin des créatures photo-réalistes (ce qui est exceptionnel en 1997), mais aussi en excellente symbiose avec les animatroniques. Le film est, enfin, un grand moment du compositing numérique, qui gagne là sa légitimité et trouve l’un de ses actes fondateurs (voir les plans de la bataille en orbite proche, contenant plus d’une centaine d’éléments superposés). Ils sont très rares, les effets spéciaux de l’ère numérique qui restent crédibles presque quinze ans après leur sortie. Pour Verhoeven qui voulait, de son propre aveu, signer un film à effets spéciaux fait sur le modèle de ceux de Ray Harrihausen, la victoire est grande, et renfloue par la même occasion son crédit bien entamé par Showgirls. Le film, qui a fait un four au box office américain, a depuis acquis un vrai statut de classique tout en lui permettant d’explorer jusqu’au bout sa tendance à pasticher les formes télévisuelles (8) : Starship Troopers est à bien des égards construit à la manière des publicités de Robocop et Total Recall.

 

Counter-Intelligence

Bien loin des considérations qu’on a pu lire çà et là voulant que Starship Troopers soit une sorte d’incident isolé dans la carrière de Verhoeven (certains feignent de croire que le bonhomme se serait téléporté de Flesh + Blood a Black Book sans faire de films pas propres), c’est un film qui brasse l’ensemble des thèmes que chérit le cinéaste : personnage féminin apprenant au fil de ses erreurs, considérations sur l’identité par rapport au rôle présupposé, réflexion sur les faits de guerre et les errements de l’idéologie au sens large, violence outrancière, manipulation rhétorique du spectateur par l’agencement du récit et sa mise en scène dans le but de le pousser à la réflexion, ambiguïté des personnages. Au tournant des deux siècles, deux films semblent se répondre sur ces circonspections : Starship Troopers et Battle Royale. Les deux films, adaptés de romans très marqués politiquement, montrent des jeunes gens instrumentalisés par un pouvoir adulte fascisant, et poussés dans un monde de guerre qui cherche à les éliminer en tant que sujets, le tout en faisant ouvertement référence à un vingtième siècle plus chargé et pestilent que la langue d’un ivrogne frappé de tumeurs hépatiques. Le parallèle entre les deux films n’a rien d’arbitraire. Paul Verhoeven a grandi pendant l’occupation allemande de son pays, près des rampes de lancement des V2. Jeune homme, et à la même période, Kinji Fukasaku a dû nettoyer les rues de sa ville des cadavres qui la jonchaient après les bombardements. Tous deux exorcisent ces images dans leurs métrages respectifs. L’un démarre le climax de son film avec une flotte aérienne frappée par une DCA extraterrestre, et l’autre montre son protagoniste principal errant, rendu aveugle par le blast d’une explosion cataclysmique. Voilà assurément un double programme intéressant à se projeter, surtout à une époque ou la politique et l’idéologie font, de toutes parts, entendre des bruits de bottes de plus en plus nets. N’oublions tout de même pas l’incroyable maîtrise narrative et cinématographique de ces films, qui restent des œuvres d’entertainment avant toute chose et ne sauraient être réduits à de simples Bucéphales ne servant qu’aux croisades de leurs auteurs.

 

(1) Nombre de projets rattachés au cinéaste lui ont ainsi échappé pour être reconvertis sous des formes lénifiées, le meilleur exemple étant Dinosaur, ultimement produit par Disney, à l’origine un projet totalement muet et bien plus graphique et jusqu’au-boutiste.
(2) Nom donné à la manière dont les Etas-Unis ont joué l’ingérence systématique et endossé le rôle de « police du monde » au sortir de la première victoire en Irak, en référence à la Pax Romana.
(3) Erreur qui revient à confondre purement et simplement « fasciste » et « fascisant ». La collusion des termes, leur simplification et leur confusion, menant inévitablement à une novlangue, est d’ailleurs selon Orwell l’antichambre des totalitarismes : le langage étant suivant le terme célèbre de Lacan
« le vecteur de la pensée », simplifier et appauvrir le langage revient à simplifier et appauvrir la pensée, et de là l’individualité, le sens critique.
(4) L’un des tout premiers films frappés de classification X en France, en 1975. Juste pour situer.
(5) Voir à ce titre l’hilarante assertion de Rose Bosch dans Les Années Laser à propos de son film La Rafle, comparant quiconque aurait des réserves quant à son film à un militant hitlérien.
(6) Les scènes coupées, centrées sur Carmen, l’humanisent en la montrant comme une jeune femme qui évolue au fil de ses errements, la plaçant dans la tradition des héroïnes de Verhoeven.
(7) Ce mouvement a constitué l’un des lits idéologiques des théories pro-aryennes puis nazies.
(8) Au point qu’un des centres d’entrainement des recrues se nomme Fort Kronkite, du nom du présentateur vedette de CBS.

 

Titre original : Starship troopers

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Durée : 131 mn


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