Stand by me (Rob Reiner, 1986)

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Belle adaptation de Stephen King.

Gordie Lachance est assis dans sa voiture, sous ses yeux, un journal titrant la mort de l’avocat Christopher Chambers. « J’allais sur mes 13 ans la première fois que j’ai vu un mort », flashback, la voix off nous transporte vingt-six ans plus tôt. Nous voilà dans l’univers de jeunes gamins de Castle Rock au cours de l’été 1959 : trois gosses, une cabane dans un arbre, des bandes dessinées, un paquet de clopes et un jeu de carte. Quelqu’un frappe à la porte de la cabane, ce n’est pas le code convenu, « ce doit être Vern », et voilà le quatrième larron qui se joint au groupe. Vern c’est la « bonne poire », la mascotte, à peine prend-il la parole qu’il essuie les quolibets habituels. Seulement cette fois-ci ses amis l’écouteront, il a surpris son frère aîné parlant du cadavre du jeune Ray Brower, disparu depuis plusieurs jours et dont le corps serait à Back Harlow, près de la ligne de chemin de fer. L’occasion est trop belle pour eux, rechercher un cadavre dans les bois c’est l’aventure assurée, et en cas de découverte, un bon moyen de faire la première page de la presse locale.
 

Leur départ se fait le plus naturellement du monde, chacun se charge de bafouiller des mensonges à sa famille, et la petite troupe se met en route, Back Harlow étant à deux jours de marche de Castle Rock. En quelques secondes, en quelques notes de musique, l’environnement prend vie et on se met à croire que les années 1950, « That’s boss » (« C’est génial »), pour reprendre l’expression de l’époque et les termes de nos personnages. La bande est construite de manière plutôt conventionnelle, on y retrouve un panel des différents types de tempéraments : Gordie (Wil Wheaton) en héros calme mais tourmenté, Chris (River Phoenix) la tête brûlée, Teddy (Corey Feldman) le déjanté émotif et enfin Vern l’empoté. Ainsi la force du groupe ne réside pas dans la spécificité de chacun de ses membres mais plutôt dans leur cohésion et leur complicité. A travers le choix des acteurs et le travail réalisé pour les diriger, Rob Steiner réussit parfaitement à faire vivre ces enfants dans toute la spontanéité de leur jeune âge. Tous les codes sont respectés, quand un pacte se fait on « tope là », « on fait la course » pour se mesurer, les décisions se prennent à pile ou face et lors des accrochages, mieux vaut dégainer vite :

Teddy: « What a wet end (poule mouillée) you are, Lachance »
Gordie: « Shut up! »
Chris, Teddy et Vern: « I don’t shup up, I grow up and when I look at you I throw up »
Gordie: « Then your mother goes around the corner and she licks it up »

L’ambiance est bon enfant (c’est le cas de le dire) et nos amis progressent tranquillement, bravant des dangers bien réels, lorsqu’ils traversent un pont et sont poursuivis par un train, et d’autres amplifiés par les mythes locaux, telle leur rencontre avec la terreur de la région, le chien de Milo Pressman gardien de la casse dont ils se garderont certainement de dire qu’il est loin d’être à la hauteur de sa réputation. Ces successions de péripéties sont entrecoupées de séquences plus calmes dans lesquelles ce sont encore les enfants qui tiennent les rênes, cherchant à savoir qui de Mighty Mouse ou de Superman est le plus fort ou écoutant l’une des histoires surréalistes d’un Gordie qui rêve d’être écrivain. Les discussions sont celles de leur âge, ce mélange de vannes et d’interrogations existentielles ( « What the hell is Goofy ? ») fait naître une légèreté tout à fait plaisante, portée par la douce musique doo-wop des fifties. La grande simplicité du film est d’autant plus étonnante que Stand by me est l’adaptation d’une nouvelle de Stephen King, plus connu pour ses écrits fantastiques et ses ambiances oppressantes (à l’image du très bon Misery, porté à l’écran par le même Rob Steiner en 1990). Soucieux de retranscrire l’atmosphère candide de la nouvelle, Rob Steiner prend très peu de liberté avec l’œuvre de l’écrivain américain, si ce n’est qu’il donne plus d’importance à Gordie, là où Stephen King centrait d’avantage son récit sur Chris. Ce choix peut sembler regrettable tant Steiner ne semble pas avoir la matière nécessaire pour permettre à Gordie de s’affirmer face à Chris, personnage plus complexe et plus touchant ; c’est donc sans doute par commodité qu’il met en avant le futur écrivain de la bande, lequel endosse par la même le rôle de narrateur de ce tendre souvenir d’enfance.
 

Seulement comme souvent chez Stephen King (Shining, Carrie), l’enfance est malade et renferme sa part de violence, de doutes, et si Gordie se remémore cet épisode de sa vie 26 ans plus tard, c’est certainement que ce ne fut pas une simple escapade en forêt. Même s’ils semblent oublier le but de leur périple et prendre les événements comme ils leurs arrivent, chaque pas les rapproche de ce corps sans vie gisant au fond des bois et chacun a un compte à régler avec ce mort. A l’instar des histoires que les enfants se racontent pour s’effrayer, il y a dans leur voyage cette volonté de repousser leurs limites, de jouer avec leurs peurs. Par ailleurs, et sans grande surprise, on comprend que leur progression a tout du voyage initiatique et que les obstacles sont autant d’épreuves à surmonter pour grandir et s’affirmer. Si leur départ se faisait très rapidement et sans l’accord des parents, force est de constater que le poids de la famille est inversement proportionnel à la place qui lui est donnée à l’écran. Le rapport à la famille est conflictuel, Gordie a perdu son frère et n’a plus le sentiment d’exister aux yeux de ses parents, le père de Chris est alcoolique et violent, celui de Teddy a sombré dans la folie et lui a brûlé l’oreille, quant à Vern, il voit dans cette entreprise un moyen de s’affirmer face à son grand frère. Le tableau est très chargé…trop ? En réalité, si le film fonctionne c’est bien grâce à l’atmosphère crée par la bonhomie du groupe, qui n’est pas superficielle, encore moins un prétexte pour évoquer les blessures des personnages. La démarche de Rob Steiner semble sincère, elle n’a pas pour ambition d’opposer d’un côté les gamineries d’une bande de jeunes et de l’autre des considérations plus nobles sur la profondeur de leur quête sous un air de « fini de rire ». Les deux éléments s’articulent tout naturellement et mis à part le discours de Chris, très lucide quant à l’injustice qu’il doit subir du fait de sa mauvaise réputation, les jeunes ne sont pas conscients de la symbolique de leur voyage. Si Gordie se trouve bizarre, c’est certainement qu’il ne comprend pas l’obstination qu’il met à vouloir découvrir ce corps, en revanche il ne se doute pas que le traumatisme de la mort de son frère, pour laquelle il avoue n’avoir pas réussi à pleurer, constitue avant tout un complexe pour lui, un sentiment d’anormalité devant cette sécheresse lacrymale. Des pleurs il en aura devant le cadavre de ce gosse, le visage livide, ensanglanté, bel et bien mort, duquel il ne retire aucune gloire si ce n’est le courage de faire fuir le frère aîné de Vern et sa bande, qui voulaient s’approprier le scoop.

C’est dans la tristesse que l’aventure se termine : la bande se dissout car elle n’a plus de raison d’être, d’ailleurs en a-t-elle jamais eu ? Un coup de téléphone anonyme suffira à renseigner les autorités, il n’y aura aucune gloire, uniquement des souvenirs, et encore, ceux de Gordie puisque rien ne nous dit que ses trois acolytes aient tirés quelconques enseignements de cette histoire. La voix off fait un point sur le parcours des personnages : Vern ne s’élèvera jamais au-dessus de sa simplicité et mènera une existence normale à Castle Rock, Teddy ira en prison et Chris, bien qu’ayant réussi à dompter toute la colère emmagasinée dans son enfance pour devenir avocat, meurt poignardé dans un bar en essayant de calmer une bagarre (c’est quand même pas de bol). Seul Gordie, l’écrivain, a le luxe de tirer les enseignements d’un tel voyage et de les mettre par écrit. Il est décidément bon d’être le héros.

Titre original : Stand by me

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Durée : 85 mn


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