Rome plutôt que vous

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Un film en provenance d´Algérie, terre cinématographique peu diffusée, vaut forcément la peine d´être remarqué. Cette histoire d´errance et d´espoir d´avenir meilleur offre un portrait à vif d´une terre meurtrie, théâtre d´une guerre sans nom, ni visage clairement identifiable.

Rome plutôt que vous est un film qui se donne au spectateur avec une force brute, qui met au jour les sursauts d’une société prise dans une guerre civile ancienne, rappelée par des attentats tristement récurrents, et pour certains d’entre eux, très récents.

Au premier abord, le film désarçonne ; dans ses quarante premières minutes, la lecture en est même rendue difficile par une réalisation qui prend le contrepied total de celles auxquelles nous sommes habitués sur un tel sujet. Ici, point d’histoire joliment troussée, point de personnages à la psychologie fouillée et révélatrice, point non plus de discours pontifiant – le film s’attache bien plutôt à des corps et aux lieux qui les voient évoluer, tantôt inachevés, labyrinthiques ou inatteignables.

Dans Rome plutôt que vous, une grande place est ainsi laissée à ce qui est insaisissable. On y suit le périple de Kamel, jeune Algérois au chômage, et de sa fiancée Zina, partis à la recherche d’un marin trafiquant qui pourra leur fournir de faux papiers, pour quitter l’Algérie et rejoindre l’Europe – d’où le titre, qui pose le choix d’un monde occidental chrétien, plutôt que celui de l’Etat et des intégristes, tous deux générateurs de violence.
Le trajet qui mène le couple vers cet homme invisible semble tout tracé ; mais il n’est qu’un prétexte pour montrer l’échec, le désoeuvrement et l’impasse qui forment le lot commun des Algériens. La caméra de Tariq Téguia suit les deux Algérois et les gens qu’ils croisent en chemin ; mais toujours elle semble signifier que la voie est sinueuse et trompeuse, et le but fort incertain.

Alors que nos yeux s’habituent à la lumière (naturelle) du film, on est saisi par les micro-événements qui ont lieu et apportent sa densité et son sens à Rome plutôt que vous : l’irruption des policiers et leur interrogatoire musclé dans un café perdu de la périphérie d’Alger, le délire désespéré d’un journaliste pizzaïolo, les sermons et tueries des intégristes. C’est dans ces moments rapides, mais chargés d’une brutalité franche, que le film marque le plus, parvenant ainsi à rendre compte d’une situation sans l’intellectualiser à outrance.

On comprend que ce qui intéresse Téguia est une forme de temps mort, néanmoins parcouru de fulgurances. Propos en réalité très politique que celui de Téguia, qui a d’abord été photographe puis vidéaste, et dont c’est le premier film de fiction. Il réussit à rendre palpable une situation où la violence, soudaine et brève mais bien réelle, constitue le quotidien ordinaire de tout un peuple. Le temps s’écoule comme au ralenti – voir les longs plans-séquences dans les rues de la ville parcourues à pied ou en voiture ; pour autant, la vie est toujours présente, comme dans ces scènes particulièrement émouvantes où l’on joue au football sur une plage et où l’on danse toute la nuit sur une chanson qui déclame « Gloire aux vivants ! ».
Plus forte est la vie qui fait se mouvoir les corps jusque dans l’enfermement, ces corps d’acteurs non professionnels qui apparaissent donc tels qu’ils sont dans la vie, alertes, légers ou lents ; jusque dans les différents tempos de cette vie aussi, stances subtilement soulignées par la musique, qui passe du jazz furieusement libertaire d’Archie Shepp au raï endiablé de Cheb Azzedine.

Dès lors, la fuite n’en est plus une – d’ailleurs, on découvre que le passeur est mort, tandis que la fin tragique se profile. Le film se clôt par un arrêt sur image d’une rare intensité : le regard de Zina, qui ne témoigne de rien d’autre que de son existence.

Aller voir Rome plutôt que vous, c’est séjourner dans le royaume de la mort aux côtés de gens bien vivants – et ce faisant, c’est découvrir un regard, brûlant et puissant, que pose un nouveau cinéaste sur le monde d’aujourd’hui.

Titre original : Roma wa la n'touma

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Durée : 111 mn


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