Rivière noire (Kuroi Kawa, 1957)

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« Rivière noire » s’inscrit dans l’histoire d’un cinéma d’après-guerre qui met en lumière le quotidien sombre des classes miséreuses.

Le cinéma d’après-guerre est marqué par les descriptions des sociétés miséreuses. C’est le cas en Italie, avec le néoréalisme mais aussi au Japon avec les réalisateurs du nouvel âge d’or des années 50, comme Kurosawa et Kobayashi qui réalisent des films à visée contestataire dans un pays défait et occupé par l’ennemi américain.
Rivière noire (1957), décrit à travers l’installation d’un étudiant dans un quartier misérable situé près d’une base américaine, la société japonaise par le bas de l’échelle.

Les premiers plans du film sont consacrés aux avions et véhicules militaires qui traversent la ville. En alternance des scènes de sociabilité japonaise sont diffusées. Tout est dit, Kobayashi veut nous montrer le monde nippon dans un contexte d’occupation par l’armée américaine. Ce scénario simple qui met également en scène la rivalité autour de la jeune fille à l’ombrelle blanche n’est pourtant pas aussi terne et binaire que cette succession de plans en noir et blanc.

La société par le bas

En présentant tout au long du film la vie de locataires pauvres, appartenant à la classe ouvrière, le réalisateur japonais met la caméra au plus bas de la société japonaise d’après-guerre. Film social et se voulant réaliste, les mouvements de caméra – lorsqu’ils existent – sont lents. Le plus souvent cette dernière est fixe et le plan proposé est moyen. Pas trop d’artifice, le réalisateur veut figer sa société. Il propose une caméra semblable à une fenêtre ouverte sur les Japonais et nous montre les problèmes sociaux à leur base, à partir de la question essentielle du logement.

Un des locataires, le «communiste» est le symbole de la force de résistance de la classe faible. Il est le plus informé sur les inégalités, le plus politisé. Ce personnage est très craint par la logeuse qui s’offusque de la montée de législation protégeant les locataires.
Il faut dire que Japon d’après-guerre connaît une forte montée du PCJ (Parti Communiste Japonais),. Favorisée par l’occupation étasunienne, elle est la manifestation de la sensibilité au modèle soviétique, se voulant alternative au modèle libéral. Dans ce contexte, les syndicats posent de nombreux problèmes à l’occupant «libéral» et tentent même en 47 de prendre le contrôle des usines.

L’occupation américaine

On ne peut comprendre le film sans avoir à l’esprit le traumatisme du 6 et 9 août 1945 causé par les deux bombes nucléaires lancées sur Hiroshima et Nagasaki. A la suite à cette attaque aérienne, le territoire a été occupé militairement quelques jours plus tard.

La brutalité de cette période est évoquée par un plan caractéristique : celui ou l’on voit l’ouvrier souffrant, l’Homme malade du Japon, avec en hors-champ le bruit d’un avion américain qui passe au-dessus de sa tête. Dans un seul et même plan, le réalisateur met en scène les maux de la société japonaise et dénonce la présence américaine.
D’autre part, on note dans le film cette impression d’injustice lorsque les ouvriers doivent payer la note d’électricité de la base américaine voisine, extrèmement énergivore. Le militant communiste déclare alors que ce pays collaborationniste lui fait honte…

L’ouvrier vit plus difficilement que les autres classes sociales la dureté de l’occupation. La violence s’exprime aussi dans le fait que les soldats prennent du bon temps avec les femmes japonaises.
L’occupation met ainsi en avant les différences sociales. La situation est bien loin d’être la même pour les différents membres qui composent la société. Les propriétaires sont opposés aux locataires ouvriers. Ceux-ci résident dans des logements insalubres. Un hotel de luxe pour Américains profite à ceux qui possèdent alors que la seconde catégorie perd son logement d’infortune. Face à l’occupation, les «puissants», c’est-à-dire les détenteurs de la terre, vendent le Japon et tirent leur épingle du jeu.

La vision de Kobayashi sur sa société n’est pas aussi duale qu’elle n’y paraît. Une serie d’intermédiaires a intérêt à provoquer la misère des ouvriers. Il y a «Jo le tueur», symbole de la force qui domine (et de l’armée américaine par extention). Il fait régner la terreur et compte bien imposer l’expulsion des locataires. Il y a aussi, le locataire exemplaire, figure du traitre qui pour quelques dollars incite ses pairs à quitter les lieux. Comme un clin d’oeil diégétique, ce même personnage propose à Nishida un chocolat américain dès le début de leur rencontre. De quoi mettre le spectateur sur la voie de l’anticipation…

Une société chaotique

La classe dominée vit dans l’indignité. Malgré les efforts du militant, elle peine à s’organiser. Même l’étudiant, pourtant éclairé par la culture, n’a pas de réel esprit politique. C’est surtout la montée de l’individualisme qui provoque, malgré une conscience de classe, la difficulté de s’unir en ces temps difficiles.

Le tableau social est bien sombre : les femmes se prostituent à l’insu de leur mari, les hommes se tuent à l’usine. L’épouse du malade pourtant compatible, refuse de donner son sang à son mari. Enfin, l’argent fait oublier la solidarité de classe à de nombreux locataires. Ces derniers vont accepter de quitter les lieux et de signer le papier d’expulsion sans résister.

Mais Kobayashi ne caricature pas la situation pour autant. La capacité de résistance ouvrière réside essentiellement dans le non-paiement des loyers. Il s’agit, outre le manque d’argent, d’une vengeance sociale pour une classe qui vit dans l’insalubrité.

Les rapports sont violents, les discussions agressives. Les plans s’opposent souvent pour suggérer un contraste des personnages. La fuite est très présente dans le film : les habitants qui échappent à la logeuse, la belle Shikuzo qui se soustrait au violent Jo. Si la fuite échoue, elle donne lieu à de la violence, au mieux à de l’agressivité.

Le film est sombre et sans concession. Pourtant, on peut entrevoir quelques notes d’optimisme.
L’histoire d’amour entre Shikuzo et Nishida éclaire un peu le tableau. Mais on peut dire aussi qu’il s’agit d’une relation compliquée, par la violence de Jo, le chantage qu’il exerce sur Shikuzo et les sentiments ambigus de la jeune fille. Cette dernière fera son choix, et récupèrera sa liberté par rapport au manipulateur amoureux que le yakuza incarne. Enfin, même si Rivière noire est assez dur, quelques scènes divertissantes permettront au spectateur de respirer un peu.

Pour finir, on peut dire qu’il y a dans ce film un personnage qui fait parfaitement le lien entre la situation sociale et politique du Japon. Il s’agit de Shikuzo qui représente la beauté, l’innocence. Cette dernière sera violée, battue à de nombreuses reprises, manipulée et trompée. Son ombrelle blanche sera souillée par le sang, en même temps que sa pureté. Mais dès sa prise de conscience, elle fera preuve d’un courage exemplaire pour résister à bien plus fort qu’elle et se retrouvera vengée. De quoi laisser entrevoir ou espérer, si l’on pousse l’analogie, à un dernier souffle de résistance nationale au Japon, humilié et asservi par l’envahisseur. Témoin de son temps, le film, par sa force de dénonciation sociale représente un intérêt à la fois, pour le spectateur, l’historien, le sociologue et bien sûr le cinéphile. Ce dernier, trouvera un échantillon d’exotisme dans un cinéma engagé, crédible et intelligent.

Titre original : Kuroi Kawa

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Durée : 115 mn


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