Dans ses deux derniers films, Bronson et Valhalla Rising, Nicolas Winding Refn concentrait déjà toute son attention sur un seul et unique homme fort. Mais malgré la performance remarquable de Tom Hardy, le premier peinait à décoller : malgré un humour tapageur et cynique, le film se révélait finalement assez creux. Moins alléchant sur le papier mais bien plus abouti, le second évacuait toute trace de comique. Solennel et mystique, cet univers brutal de vikings chrétiens gravitait autour de la puissante présence dudit guerrier silencieux, interprété par Mads Mikkelsen (déjà aux côtés de Refn pour Bleeder et les deux premiers Pusher), homme de marbre muet et incompris, d’une personnalité que seule l’intelligence d’un petit garçon pouvait appréhender.
Le chevalier
Ryan Gosling, lovant son jeu formidable dans l’approche phagocytaire du réalisateur, semble s’être imprégné de l’énergie de son prédécesseur pour rentrer dans le blouson blanc du chauffeur anonyme. De cette continuité semble naitre une constante passionnante chez Nicolas Winding Refn. A travers cette rude confrontation entre le réel et l’homme anachronique, le réalisateur trouve peut être enfin sa voie. Du viking muet, tourné vers le futur comme un étrange prophète, Drive se penche sur l’homme d’honneur – celui des légendes médiévales – propulsé dans un monde contemporain.
Le film est traversé par cette aura de mystère dégagée par le personnage de Ryan Gosling. La caméra peine à suivre ce corps en constant mouvement, rarement visible dans sa totalité. Hors des bolides, le driver échappe au plan fixe. Un travelling, et les cylindrées deviennent alors un masque, participant d’une fascination qui ne disparaitra qu’avec le générique de fin. Incrusté dans ses véhicules, le driver – moins Travis Bickle que Roland – use de ses outils de travail à la fois comme monture, épée et armure. Durant les courses poursuites, il est assez frappant de constater le soin apporté au son. Transfigurés, les bruits de moteur – dont on perçoit toutes les nuances – donnent aux bolides des qualités propres au vivant, à l’animal.

Je vais vous conter l’histoire du scorpion…
Valhalla Rising cherchait déjà à plonger – en épurant au maximum le background et le scénario – le film de viking dans un univers propre au film de science-fiction. Drive réutilise ce concept en adaptant cette fois-ci un monde contemporain aux modalités du conte médiéval. Nicolas Winding Refn lui même avoue avoir assimilé la jeune femme (Carey Mulligan) à la vierge à sauver, Ryan Gosling au chevalier et les deux parrains (le patibulaire Richard Brook et un Ron Perlman sauvage et bouffi d’orgueil) au roi maléfique et au dragon. Un décalage passionnant, qui permet d’esquiver soigneusement les clichés des habituels polars testostéronés.
Sans donner systématiquement un double merveilleux à chacun des personnages, on peut tout de même établir d’étroites filiations entre le long métrage et le modèle du conte. C’est ce chevalier interprété par Ryan Goslin qui tire le film et ses protagonistes vers l’imaginaire. L’introduction permet une passation de pouvoir du réalisateur maitre de son univers – et là, on touche presque à La Montagne sacrée de Jodorowsky, et à son réalisateur acteur – à son personnage principal, acteur mais jamais marionnette. Par cette force fraichement acquise, le driver efface la présence policière. Ce Los Angeles contemporain bascule alors vers d’autres sphères, où seuls mafia et portes flingues peuvent agir et interargir. Mais ces archétypes, communément intégrés au film noir, ne répondent pas à des codes filmiques qui transformeraient le tout en vain gloubi-boulga cinéphilique.

Nicolas Winding Refn, réalisateur passionné par l’irréalité que le cinéma peut véhiculer, tient sans doute plus du réalisateur infantile surdoué que de l’image de l’arrogant faiseur de tarantineries qu’on voudrait parfois lui coller.