Le Fleuve

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Retour sur le chef-d´oeuvre indien de Renoir qui ressort dans une version restaurée.

Réalisé au terme d’un exil peu satisfaisant pour lui à Hollywood, où il s’accommoda mal de l’emprise des studios (la RKO préféra après l’insuccès de Woman on the Beach en 1947 l’indemniser plutôt que de le laisser tourner le deuxième film auquel son contrat l’engageait), Le Fleuve, premier film en couleurs de Renoir, tient véritablement du miracle. Miracle d’une alliance entre le cinéaste en quête de financements et de liberté pour mettre en œuvre son adaptation d’un roman « indien » de Rumer Godden, The River, et d’un producteur novice, homme d’affaires spécialisé dans le commerce des fleurs, désireux, comme on dit, de se lancer dans le cinéma.

Miracle, également, de cinéma, la découverte de l’Inde et de sa culture s’effectuant pour Renoir avec une intensité agissant sur la forme du film, l’incitant à intégrer bon nombre de plans tournés de manière documentaire, ou à ajouter par rapport au roman un personnage, celui de Melanie, pour son interprète, une danseuse classique découverte lors d’une représentation dans un salon de musique. Comme souvent chez Renoir, le film change beaucoup après l’écriture, transcende son scénario. Mais il s’agite ici sans remous, construisant un objet d’une paisible sensualité.

Il est pourtant question dans Le Fleuve d’une tension, entre l’appréhension de métamorphoses qui bouleversent la vie des personnages, et le sentiment d’un éternel recommencement affirmant une forme de permanence du monde. D’un bouillonnement intérieur qui transparaît une palette graphique dominée par des tons chauds. De ce qui s’agite en-dessous de l’image et de ses répercussions en surface. On pourrait dire que ça parle tout simplement de la vie, mais on se trouverait un peu bête. On ne serait pourtant sans doute pas si loin que cela de la réalité. Dans Le Fleuve, Renoir ne se situe plus comme il avait pu le faire (en maître), dans, par exemple, La Grande Illusion (1937) ou La Règle du jeu (1939), au niveau de l’analyse de la société qu’il dépeint. Mais il ancre sa caméra dans un présent pour révéler le mouvement et les accords qui le constituent. Toute chose filmée l’est ici pour venir trouver place dans un cheminement qui est une découverte esthétique du monde, une appréhension de ses phénomènes par la vision, l’exaltation par l’art (ici le cinéma rencontre la poésie) de ce que les sens témoignent de ces épiphanies, par son personnage principal, la jeune Harriet.

Pour partie histoire d’un premier amour, celui de trois jeunes filles pour un soldat, le « Captain John », venu séjourner dans la maison voisine de la famille d’Harriet, Le Fleuve est un film habité par un double mouvement, un flux et un reflux rythmés par les trajectoires de ses personnages tracées, tout d’abord, de la maison anglaise familiale vers l’extérieur, vers l’Inde, puis en sens inverse, dans un repli, jusque dans ce cagibi décoré par elle servant de repaire à Harriet. Sur cette dynamique d’ordre spatiale on peut en calquer une autre, qu’on pourrait qualifier d’intérieure. Il y a tout d’abord cette relation esthétique au monde vécue par les jeunes personnages, qui les bouleverse, qui les change. Il y a comme en réponse ce qui est rendu au monde et qui le transforme : l’écriture pour Harriet, la danse de la jeune mariée dans cette courte histoire inventée et dite par elle, qui livre de manière synthétique la morale profonde du film. Le Fleuve affirme à la fois la puissance de l’art, et la force d’évocation, pour qui sait les voir, des choses du monde. Ce qui transforme le regard, et ce qui transforme le monde.

Titre original : The River

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Durée : 100 mn


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