Rencontre exclusive avec Terry Gilliam

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Est-il nécessaire de présenter Terry Gilliam ? L’immortel auteur de « Brazil » et « Las Vegas Parano » était jeudi dernier le premier invité d’honneur du 30e Festival international du film fantastique de Bruxelles (Bifff), et il avait apporté dans ses valises une nouvelle production.

Non pas un long métrage (son dernier reste L’imaginarium du docteur Parnassius), mais un court, The Wholly Family, réalisé par l’ex-Monty Python pour le compte… d’une marque de pâtes italiennes, Garofolo.

Loin d’être un simple spot publicitaire, ce mini-film de vingt minutes condense autour d’une simple idée – un gamin pourri gâté est entraîné durant les vacances napolitaines de ses parents dans un cauchemar par des Polichinelles inquiétants, qui vont lui apprendre à aimer sa famille -, l’essentiel du cinéma de Gilliam. Inventif, incorrect, baroque, remplies d’idées visuelles fulgurantes malgré un budget qu’on devine limité, The Wholly Family rassure sur la santé artistique d’un cinéaste devenu trop rare, chez qui pointe toujours une rage sardonique et une envie de s’amuser de tout, qui en ont fait plus qu’un réalisateur apprécié : un personnage haut en couleurs et fidèle à sa légende. D’humeur joviale, nous l’avons rencontré au lendemain de la projection (où il a été, pour l’anecdote, sacré chevalier d’honneur de l’ordre du Corbeau, une « sacralisation » fantaisiste avec épée incluse à laquelle Gilliam s’est prêté avec un enthousiasme non feint).

Vous dites avoir apprécié le fait de tourner un court métrage, qui vous a permis de mettre rapidement et sans interférence en images une idée originale. D’où vous est venue l’idée de The Wholly Family ?

Il y a plusieurs choses : d’abord cette rue de Naples où ils vendent des petites statues, que j’ai toujours adorée, et où j’ai eu envie de tourner. Il y avait aussi le personnage du Polichinelle, que j’avais envie de traiter, et il s’avère qu’ils en vendaient dans cette même rue ! Il y avait toutes ces choses, sur lesquelles j’ai rajouté l’histoire de cette petite famille, qui vit des temps difficiles, avec ce petit garçon qui, on peut le dire, est un petit con ! Il s’agissait de voir si on pouvait « réparer » ce garçon, c’est aussi simple que ça. Le film ne fait que vingt minutes, mais il a beaucoup évolué pendant que nous tournions à Naples. De nouvelles idées émergeaient sans cesse une fois que le scénario partait du principe que nous entrions dans le cauchemar de cet enfant. L’entreprise Garofolo, qui produit le film, m’envoyait constamment des nouvelles idées de lieux où tourner, et une fois rendu sur place, je me disais : « Hum, c’est plutôt joli, comment pourrais-je m’en servir ? ». C’était un processus très organique.

Paradoxalement, c’est un film plutôt optimiste (Gilliam éclate de rire). En cela, il est très différent de Tideland, qui était très noir et difficile. The Wholly Family est en comparaison beaucoup plus léger.

Je crois que je devais être de bonne humeur ! (Rires). En même temps, on pourrait penser qu’effectivement, le film se termine avec un happy end, mais ce n’est pas si heureux que ça, avec cette famille qui finit, comme, disons, « vitrifiée » !

Oui, mais l’image les réunit, comme s’ils étaient devenus une famille parfaite.

Effectivement. Mais bon, le film commence avec cette famille de la Sainte Trinité (The Holy Family en anglais, ndlr) pour terminer avec une famille moderne… Je ne sais pas, c’est un peu comme quand à l’époque des Monty Python… Les idées me viennent spontanément, je les travaille. Mais c’est comme un jeu, au final, ce n’est juste pas le même quand vous faites un long métrage. La pression est alors tellement plus grande, il y a tellement plus de monde à gérer, de questions auxquelles il faut répondre.

Et les tournages sont plus longs…

Oui, bien plus longs. Physiquement, mentalement, c’est très dur : vous devez gérer et garder votre énergie, pour continuer à croire que ce que vous faites est bon. Tout change au cours d’un tournage de long métrage, moi-même j’évolue… C’est très compliqué. Quand vous démarrez un tournage, tout est formidable, parce qu’on s’amuse. Et au fil des semaines, l’ambiance change…

… Et les problèmes arrivent…

Toujours ! (Rires)

Vous semble avoir une histoire avec l’Italie. Le pays et sa culture ont influencé des films comme Les Aventures du baron de Munchausen, par exemple.

Oui, en fait, j’ai une villa dans laquelle je vais à l’automne, quand le temps est meilleur. Je n’y vais pas assez malheureusement. Pour revenir à Munchausen, je crois rétrospectivement que je m’y suis mal pris. L’Italie est tellement baroque, Rome et son architecture… Tout cela correspond parfaitement à l’histoire, mais souvent, vous vous attachez à des lieux. Vous savez, étant originaire d’une famille protestante du Minnesota, je trouve l’Italie et le catholicisme beaucoup plus divertissants ! (Rires). Les costumes sont meilleurs, à part pour les prêtres ! Et la confession, c’est tellement moins chère qu’une psychanalyse : vous faites trois Ave Maria, et boum ! Vous êtes guéri. C’est tellement moins cher !

Après toutes ces années, avez-vous gardé intacte votre envie de faire des films, de vous battre pour que vos projets deviennent réalité ?

Hé bien, il y en a quand même trois sur lesquels je travaille en ce moment. Normalement, je me concentre sur un seul à la fois, mais cela devient tellement difficile : j’ai passé sept mois à préparer un projet (Don Quichotte ?, ndlr) et je ne sais toujours pas où nous en sommes vraiment. Disons que j’essaie désormais d’assurer mes arrières…

Vous ne misez pas tout sur le noir.

Exactement. J’essaie de miser à la fois sur le noir, le rouge, et peut-être même le jaune. (Rires). Nous verrons bien. Excepté pour The Wholly Family, cela fait trois ans que je ne suis pas revenu derrière une caméra, j’en meurs d’envie.

Vous avez aussi réalisé avant The Wholly Family, un court métrage publicitaire, The Legend of Hallowdega, avec David Arquette…

Oui, c’est un court que j’ai réalisé pour Pepsi-Cola, pour vanter les mérites d’une boisson énergisante. (Il soupire). En fait, cela m’a permis de gagner beaucoup d’argent pour quatre jours de tournage, juste pour m’amuser. Vous savez, cela s’est en fait rapidement, un producteur m’a appelé et ils m’ont fait un contrat par téléphone. (Rires). Et bon, hum, même s’il y a de bonnes choses, ce n’est pas très bon ! C’était plus une occasion de faire quelque chose. Je deviens très frustré de ne pas tourner davantage, cela me déprime même. Et là, quelqu’un venait vers moi avec beaucoup d’argent pour tourner quelque chose, donc je l’ai fait !

La même chose s’est déroulée avec The Wholly Family.

Pas exactement. Même si le film n’est pas promotionnel, il y avait une certaine pression. Garofolo est venu me voir en me disant : « Voilà de l’argent, faites ce que vous voulez ». C’était une expérience différente, moins stupide dans son résultat que Legend of Hallowdega.

Passons maintenant à quelque chose de complètement différent. Que pensez-vous de la tendance actuelle de Hollywood à adapter des contes de fées ? Quand on voit Blanche-Neige, Le Chaperon rouge, Jack The Giant Killer, Alice… Pourquoi ne vous appellent-ils pas pour en diriger un ?

Oui, pourquoi ne le font-ils pas ? (Rires). Vous savez, Hollywood ne croit pas vraiment aux contes de fées. La plupart de ces films passent à côté de l’intérêt réel des contes de fées… Je crois que Lily Cole (elle jouait dans L’imaginarium du docteur Parnassius, ndlr) est dans une adaptation de Blanche-Neige, c’est ça ? Je suis curieux de voir le résultat, parce qu’ils m’avaient proposé de jouer un des sept nains.

Vraiment ?

Oui ! Mais vous savez, j’adore les contes de fées, j’ai grandi avec, je crois du fond du cœur à leur importance. Je suppose qu’avec Les Frères Grimm, nous avions réalisé l’un des premiers contes de fées modernes, c’est aussi de là que viennent les autres. Les Frères Grimm n’est pas mon meilleur film, il aurait pu être plus réussi, si je n’avais eu à gérer, disons, quelques problèmes ! (Gilliam s’est opposé publiquement aux frères Weinstein, qui produisaient le film, autour du montage final du film, ndlr).

Justement, vous pourriez en réaliser un nouveau, si jamais ils se décidaient à vous le proposer.

Je crois en fait que Hollywood me prend pour quelqu’un d’incontrôlable. Je ne le suis pas, la vérité est qu’ils ne peuvent pas me contrôler, il y a une nuance. Si je réalise quelque chose, ce sera à ma manière, et pas à celle des exécutifs. Je crois que c’est le prix que je paie pour faire les choses comme je le veux.

Une rumeur récente affirmait que le documentaire sur Graham Chapman, A Liar’s Autobiography, serait présenté à Cannes. Aurions-nous pu voir les Monty Python réunis sur les marches du Palais ?

Non, non. Ce qui se passe, c’est que Ben Timlett et Bill Jones ont adapté l’autobiographie de Graham Chapman, en animation. Michael, John, Terry et moi sommes venus pour enregistrer des voix, Eric n’a pas souhaité le faire, et ils ont également inclus celle de Graham. Il y a nos voix, mais ce n’est pas un film des Python. En ce qui me concerne, je suis venu en tout et pour tout une heure pour les enregistrements ! Je ne pense pas que nous retravaillerons vraiment ensemble un jour, nous avons tous tellement changé.

Vous vous êtes pourtant réunis, autour du projet de film d’animation de Terry Jones, Absolutely Anything.

Oui, c’est vrai, ils vendent aussi ce projet comme un « film des Monty Python ». Mais ils n’ont pas encore réuni assez d’argent pour le faire. John, Michael et moi avons accepté de faire les voix des aliens qui envahissent la terre. Nous le faisons pour aider Terry, mais encore une fois, ce n’est pas estampillé « Python », aucun d’entre nous n’a écrit quoi que ce soit.

 

Propos recueillis par Nicolas Lemâle – Avril 2012


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