Rencontre avec Maxime Giroux

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Ce mercredi sort « Félix et Meira », troisième long de Maxime Giroux, mais le premier à nous arriver en France. L’occasion d’une rencontre avec le réalisateur, qui évoque ses acteurs, la communauté juive de Montréal et l’état du cinéma québécois.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter cette histoire-là ?

À Montréal, il y a une communauté juive hassidique d’environ 15 000 personnes – c’est un peu difficile à estimer parce qu’ils font beaucoup d’enfants, alors ça va vite – et qui regroupe 12 mouvements, parmi lesquels les Loubavitch, les Satmar, les Belz… J’habitais dans une rue où vivait la communauté Satmar : je croyais qu’ils étaient tous pareils, c’est-à-dire habillés en noir, austères, et qu’ils ne voulaient pas me parler. Avec mon co-scénariste [Alexandre Laferrière, ndlr], on s’est demandé ce qu’allait être notre prochain film. On regardait les femmes hassidiques passer devant nous, on les trouvait jolies. On s’est dit que c’était bizarre, que ça faisait dix ans qu’on vivait là et qu’on ne savait rien d’eux. On a eu envie de faire un film là-dessus, d’apprendre à les connaître, tout simplement. On a fait trois ans de recherches, de rencontres avec les gens du quartier, avec les ex-membres de la communauté… Le film est parti d’un apprentissage.

Pourquoi cette communauté est-elle si fascinante ?

À Montréal, les tensions sont très superficielles. On réussit à vivre autour de cette communauté-là sans réelle tension, mais sans réel rapport non plus. C’est ça qui est fascinant. C’est une communauté très fermée, qui ne regarde pas la télévision, ne va pas au cinéma, n’a pas le droit d’aller sur Internet… Pour nous, elle date presque d’une autre époque. Ils sont juste à côté, mais vivent carrément dans une autre société, un peu comme les Amish aux États-Unis. À Montréal, des Juifs d’Europe sont arrivés en voulant préserver leur culture – comme nous, les Québécois, qui nous battons pour préserver notre culture en Amérique. C’est pour ça que les communautés juives hassidiques de New York et Montréal sont peut-être un peu plus fermées que celles d’Israël.

Comment s’est passée la rencontre ? Étaient-ils ouverts au fait de devenir l’objet d’un film ?

Au premier rapport, je ne disais pas que je faisais un film. J’ai d’abord appris à les reconnaître, je leur disais : « Vous, vous êtes Satmar ; vous, vous êtes Loubavtich… » Ils étaient étonnés : « -Comment vous savez ça ? » « -Ben, je m’intéresse à vous ». J’ai eu la chance d’avoir des discussions passionnantes avec les hommes, même de boire avec eux… Quand je leur disais que j’allais faire un film et que je raconterais l’histoire d’une femme qui allait quitter la communauté, la discussion s’arrêtait net. Ce n’était pas du tout plausible pour eux. Ça arrive de plus en plus, pourtant.

Certains acteurs sont d’ailleurs eux-mêmes d’anciens membres de la communauté…

Oui, cinq d’entre eux, dont celui qui joue le mari, Luzer Twerski, qui vient de Brooklyn et qui a grandi dans la communauté jusqu’à l’âge de 20 ans. Il est divorcé, a deux enfants qu’il ne peut plus voir aujourd’hui, son père est un rabbin très important. Ces gens-là nous ont permis d’avoir une certaine véracité, je n’aurais jamais pu faire le film sans eux. Je voulais avoir des acteurs qui parlaient le yiddish ; je les ai rencontrés sur Internet, grâce à des associations d’aide à ceux qui ont rompu avec la communauté… Luzer a traduit le yiddish et a appris à Hadas Yaron [qui joue Meira, ndlr] à le parler. Elle ne parlait qu’hébreu, étant israélienne.

 

 

Qui sont vos acteurs principaux, peu connus en France ?

Félix, c’est Martin Dubreuil. Je travaille avec lui depuis mon premier court métrage. Il a des rôles plus ou moins importants, mais il est toujours là. Il a beaucoup de charisme, c’est un acteur de cinéma avant tout. Ça faisait longtemps que je voulais faire un film avec lui où il aurait le rôle principal. Une fois que j’ai eu le scénario, c’était clair que c’était lui. Hadas Yaron avait gagné un prix à Venise en 2010 pour un film qui se passait déjà dans la communauté juive hassidique (Le Coeur a ses raisons – de Rama Burshtein, 2012), du coup, je ne voulais pas l’avoir dans le film. Mais les producteurs, qui sont aussi ceux de Mommy (Xavier Dolan, 2014), et qui sont très “tight”, me l’ont présentée en audition. Après 15 secondes, je savais que c’était elle. Elle est absolument extraordinaire. Celui qui joue son mari, Luzer Twerski, je l’ai repéré sur Internet. Il avait joué dans un court, avait beaucoup de charisme, je l’ai rencontré une première fois à New York. J’ai fait un essai avec Martin, ils ont le même genre d’énergie, ça marchait vraiment bien.

Vous vous êtes beaucoup documenté sur la communauté pour atteindre une certaine véracité. À l’inverse, le film est très romanesque, contient de vraies parts de mélo. Comment avez-vous articulé ces deux aspects ?

Je ne voulais pas faire un documentaire, même si je voulais un certain réalisme social. Je voulais qu’on raconte une histoire somme toute vue et revue, mais singulier car se passant dans une communauté très spécifique, avec des élans de folie. Le film peut paraître classique, mais il y a des transgressions, des échappées surréalistes. C’est un film qui dérive toujours un peu, à l’image de la fin : on est à Venise, on devrait avoir une fin parfaitement heureuse, et c’est finalement très ambigu. Mais c’était nécessaire : à la rencontre des ex-membres de la communauté, je ne pouvais pas faire un film qui se finisse bien. Même s’ils sont très heureux, ils sortent sans argent, sans éducation, ils n’ont plus d’amis, plus de famille, certains deviennent SDF, certains escorts, certains se suicident… C’est très dur pour eux, alors je ne pouvais pas finir sur une note tout à fait positive. On ne peut pas faire disparaître la religion du jour au lendemain. Même pour moi, qui ne suis presque jamais allé à l’église, le catholicisme reste enfoui en moi.

Vous le disiez, on a l’impression que tout a été fait sur des histoires d’amour impossibles… Aviez-vous des références en tête ?

Faire une histoire d’amour impossible, c’était mon but. On se dit que tout est cliché de toute façon, donc allons-y franco. La fin est une citation directe de Le Lauréat (Mike Nichols, 1967) ; pour le reste, il y avait le cinéma américain des années 1970, le cinéma des migrants, et pas nécessairement juste Le Parrain (Francis Ford Coppola, 1972). L’idée était d’aller dans des couleurs brun pastel, en cinémascope, de parvenir à une même évocation new-yorkaise. On n’est pas si éloignés d’un film comme Two Lovers (2008), de James Gray, même s’il est bien plus américain. Mon film est très québécois : c’est un mélange entre Europe et Amérique. Avec ma chef opératrice, on n’est pas beaucoup dans les références. Je viens du clip et de la pub, où on exige toujours des inspirations. Au cinéma, j’essaye d’en avoir le moins possible.

Comment avez-vous dirigé les acteurs ? Les scènes étaient-elle très écrites ?

Oui, très. Pas grand-chose n’a changé sur le plateau, à part quelques mots. Au départ, le film était beaucoup plus une comédie. Martin pensait que son personnage était complètement loufoque : en avançant, je me suis rendu compte que je ne pouvais pas faire ça. Je l’ai dit à Martin, ça ne lui plaisait pas. On se battait, en même temps c’est un ami très proche donc on n’hésitait pas à se confronter… On a diminué son côté loufoque, qu’on a dosé au montage. Je voulais faire un film beaucoup plus axé sur son histoire à elle, en fait. Je ne comprends pas le yiddish, donc ça se jouait sur des intentions : moins fort, plus intime, plus lentement… Mais même si je ne comprenais pas ce qu’elle disait, on sentait qu’elle était extraordinaire.

 

 

D’où est venue la chanson de Wendy René, After Laughter, qui occupe une place centrale ?

Elle était là dès le départ. « Après les rires, il y a les pleurs » : une manière de dire que le bonheur n’a qu’un temps. C’est une chanson qui nous a accompagnés tout du long. Il y a quelque chose de très soul, qui vient de l’âme, on voulait quelque chose d’humain et de moins cérébral. Le film, à défaut d’être féministe, parle de l’émancipation de la femme. On espérait avoir les droits, et on les a eus pour pas trop cher, on était assez surpris.

Où en est le cinéma québécois ?

Nous ne sommes que huit millions de Québécois, et il y a un nombre considérable de films qui sortent chaque année, donc je considère que ça va bien en ce moment ! Cette année, il y a eu Xavier [Dolan, ndlr], Tu dors Nicole (Stéphane Lafleur, 2013), qui est très bon, Sébastien Pilote, qui a fait Le Démantèlement (2013), Denis Côté, qui est aussi chez Metafilms avec nous, Chloé Robichaud (Sarah préfère la course, 2013), qui était à Cannes… Et encore, là, on ne parle que des gens de moins de 40 ans. Il y a Jean-Marc Vallée, Denis Villeneuve, Pierre Falardeau… Il y a vraiment un truc qui se passe, un rayonnement international. Souvent, le cinéma fonctionne par vagues de cinq ans : le cinéma roumain, c’est fini par exemple [rires]. J’espère qu’on n’est pas à la fin de la vague et qu’on va durer encore longtemps. Mommy, ça a aidé tout le monde, en tous cas.

Travaillez-vous sur un nouveau film ?

J’ai un projet en anglais que je ne suis pas encore sûr d’accepter, une commande. Sinon, je suis en train de travailler avec Alexandre Ferrière sur un film qui se passe en Chine avec une Québécoise, sur fond d’espionnage industriel, tourné en français. Avec des personnages québécois en Chine et des Chinois qui parlent français, ça existe !

Propos recueillis par Jean-Baptiste Viaud à Paris – Janvier 2015

 

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