Rebellion (Joi uchi Hairyo Tsuma Shimatsu, 1967)

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En 1967, Masaki Kobayashi bâtit avec application les murs du système féodal Edo pour mieux les détruire.

Tout semble enfermer les personnages de Rebellion. Qu’il s’agisse du système féodal japonais de l’ère Edo, d’un cocon familial strict et omniprésent ou de l’amour impossible d’un mariage d’intérêt. Installé dans des cadres asphyxiés de verticales et d’horizontales interminables, ou à l’intérieur de scènes immobiles où les murs des pièces, toujours plus petites, semblent sans cesse se rapprocher, on étouffe également devant l’écran. Rebellion est irrespirable et offre très peu de points de fuite, aussi bien pour ses personnages que pour ses spectateurs. Sa puissance se trouve pourtant paradoxalement à l’intérieur de cette prison que Masaki Kobayashi a lui même crée. Cette prison dont les murs vont petit à petit s’effriter. La mise en scène, la direction d’acteur mais également l’aboutissement du scénario, tout le film vit de cette horizon qui perce au loin. De cette promesse qui sera tenue au prix de beaucoup de sang et de larmes. Si Rebellion est irrespirable, cadenassé, c’est pour mieux exploser. L’explosion n’en devenant que plus assourdissante.

On peut rapprocher Rebellion de Hara-Kiri qui quatre années auparavant traitait déjà du combat qui oppose les faibles aux puissants, le seigneur à ses vassaux. Un film qui trahissait déjà cette envie de construire son film dans le genre "Jidai Geki" (film historique dont l’intrigue se déroule dans le Japon féodal) tout en s’en démarquant. Car ici, bien qu’il s’agisse d’un film d’époque, on est bien en plein dans la petite Histoire. Celle d’un père, Isaburo Sasahara (Toshirô Mifune), qui prend sa retraite de samouraï et place à la tête de sa famille son fils, Yogoro (Takeshi Katô); l’histoire d’un amour impossible entre Ichi (Yôko Tsukasa), épouse répudiée du seigneur et Yogoro, nouveau chef de clan. Loin du film de sabre, du "Chambara", Rebellion privilégie les scènes de dialogue aux combats chorégraphiés ; les champ/contre-champ, les plans séquences, au montage frénétique. Pourtant, le réalisateur joue sans arrêt la rupture, l’inattendu, pour donner à son film une vie qui le rend aujourd’hui encore insaisissable. Pour cela, Kobayashi dynamite tout d’abord le cadre de son récit et traite quasiment tous ses personnages à contre-pied. Le mariage arrangé qui au lieu d’illustrer parfaitement l’injustice d’un ordre établi moribond devient mariage d’amour, le seul instant de paix d’un film enragé ; les décisions des hauts dignitaires, forcement cruelles pour les personnages principaux, sont elles, impersonnelles, plus celles d’un système que précisément liées à un individu (on ne voit quasiment jamais le seigneur). Toujours du côté des petits (Rivière Noire, Hara-Kiri), Kobayashi ne pointe ici jamais du doigt le coupable mais rend compte de l’absurdité d’une institution qui devient plus difficile à accepter qu’à combattre. Isaburo Sasahara, Yogoro, Ichi la combattront. Pas une révolution, juste une rébellion qui sera facilement matée. Mais d’autres suivront. Forcément.

La réussite plastique de Rebellion montre également à quel point Kobayashi sait installer chaque séquence dans l’instant. Le rythme du film est assez identifiable, calme, mesuré, pourtant, toutes les scènes ont leur vie propre et semblent exister indépendamment des autres. Non pas qu’il s’agisse d’une succession de vignettes, mais le cadrage, le sens de l’espace, rend chaque plan unique et l’isole dans le temps. De plus, alors que Rebellion est un film très verbeux, la mise en scène de l’espace semble continuer là où s’arrête les mots. Lors d’un long dialogue entre Isaburo Sasahara et son fils Yogoro, on comprend que quoi qu’ils fassent, leur famille sera toujours redevable de leur seigneur. Après leur discussion, ils se taisent un long moment. Mais malgré leur silence, Kobayashi continue de les faire vivre par son traitement de l’image: la caméra les enferme désormais à l’intérieur du cadre d’une porte ouverte. Ils auront beau se lever, tenter de s’échapper, la caméra les suivra, jusqu’à ce qu’ils abandonnent, toujours emprisonnés, mais cette fois-ci dans le contre-jour d’une fenêtre. Kobayashi ne laisse aucun moment de répit à ses personnages ; aucune chance de s’en sortir. L’explosion de cet univers clos arrive alors comme promis. Non pas lors de la très attendue scène finale, qui rappelle par sa composition les ballets de Leone, mais bien avant. Ichi raconte à son mari Yogoro pourquoi leur seigneur l’a répudiée. Une simple histoire de jalousie en somme. Mais une jalousie qui l’a rend folle de rage, comme le filme Kobayashi dans un flashback étourdissant, allant jusqu’à frapper le seigneur et trainer par les cheveux les autres prétendantes. Rythmée par la musique de Toru Takemitsu, faite de travellings avant violents, de cadrages saisissants (le gros plan d’une main agrippant au sol les cheveux d’une femme en pleurs), d’arrêts sur image présentant flous des visages déformés par la colère, cette minute de folie graphique rend presque inutile tout dialogue explicatif qui suivra ; tout est déjà là, intensément. Les cris de cette femme abusée, déshonorée résonnant plus fort encore que le croisement des sabres qui viendront par la suite. On respire enfin. Kobayashi fait exploser le monde patriarcal de Rebellion par le biais d’une femme qui a commencé à se lever la première, seule. Isaburo Sasahara,Yogoro, les autres hommes suivront. Forcément. Masaki Kobayashi peut finir son film.

Titre original : Jôi-uchi: Hairyô tsuma shimatsu

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Durée : 128 mn


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