Qui est Leo McCarey ?

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À l’occasion de la ressortie en salles du film « Place aux jeunes », coup de projecteur sur Leo McCarey.

Maître des sentiments humains au travers de ses comédies et de ses mélodrames, le réalisateur américain Leo McCarey (1898-1969) demeure peu connu en France. Outre le travail de Jacques Lourcelles (1) et une rétrospective à la Cinémathèque Française en octobre 1998 (2) , il n’y a rien de consistant à propos de cet homme qui exerça ses talents à Hollywood durant près de cinquante ans, de 1918 à 1962 (3).

Leo McCarey fit ses armes cinématographiques auprès d’un autre illustre inconnu, Tod Browning (4), dont il est le script-girl de 1918 à 1923. C’est donc aux côtés de Browning que Leo McCarey développera son goût pour l’étrange et l’inattendu. Mais ce sera avec le producteur Hal Roach qu’il va pouvoir acquérir une certaine expérience du burlesque. De 1923 à 1929, McCarey dirige ou supervise un grand nombre de courts métrages comiques, parmi lesquels ceux de Laurel et Hardy (c’est lui qui a l’idée contre-nature de les réunir). McCarey a en commun avec Frank Capra cette expérience du burlesque. Mais contrairement à ce dernier ou à Lubitsch, qui mettent en scène leurs acteurs dans une sorte de vitesse endiablée, McCarey développe sa touche burlesque dans la répétition, avec une certaine dose de lenteur et de flegme.

De 1924 à 1930, McCarey dirigea dans des courts métrages l’acteur Charley Chase, esquisse des personnages que le réalisateur utilisera dans les années 30 et 40 (Cary Grant et Gary Cooper en sont les principales figures) : un être chic (et classique) au calme olympien, mais qui se retrouve dans des situations étranges. Là est la signature du réalisateur : ses personnages sont des gens simples auxquels il arrive des choses délirantes. Le comique de situation naît des faits, et ce qui survient est presque plus important que les personnes à qui cela arrive!

C’est tout naturellement que le réalisateur poursuivra ensuite vers le long métrage. Des films personnels, dans lesquels il joue avec la plastique des corps, et confidentiels, car il n’est pas encore un auteur majeur. En 1932 il réalise The Kid from Spain (Le Roi de l’arène), d’après un scénario original qu’il a écrit et des chorégraphies de Busby Berkeley, avec le comique Eddie Cantor. Ce succès lui vaut la confiance de la Paramount. Il dirige donc les Marx Brothers dans Duck Soup (La Soupe au canard, 1933), sorte de satire antimilitariste absolument délirante.

À partir de 1934, période durant laquelle McCarey connaîtra, aux côtés de Frank Capra, un succès à la hauteur de ses ambitions, le cinéaste est au sommet et devient l’un des premiers metteurs en scène d’Hollywood. Il devra néanmoins passer par des films à son goût trop impersonnels (Six of a Kind, 1934 ; Belle of the Nineties, 1934 ou encore The Milky Way, 1936) afin d’accéder à son propre équilibre esthétique. À noter néanmoins, au milieu de ces œuvres regrettées par leur auteur, une belle réussite, empreinte de complexité, en 1935 : Ruggles of Red Cap (L’Extravagant Mr Ruggles), qui décrit de façon utopique le lien qui peut exister entre un citoyen et son pays. En 1937, avec The Awful Truth (Cette sacrée vérité), McCarey réussit un mélange homogène, dosant parfaitement le burlesque satirique et la comédie sentimentale. La même année, il réalise le triste Make Way for Tomorrow (Place aux jeunes), description cruelle d’une société égoïste, irresponsable, individualiste et matérialiste. Une destruction des valeurs dont la première victime sera ce couple de personnes âgées, obligé de se séparer devant le manque de compassion et d’empathie de ses propres enfants.

L’année suivante, il signe ce qui restera certainement comme son plus grand chef-d’oeuvre, symbole de son évolution esthétique, l’excellent Love Affair, connu chez les francophones sous le titre de Elle et Lui, avec Charles Boyer et Irène Dunne. Le film démarre comme une comédie sophistiquée, mais une bifurcation s’opère lors du passage chez la vieille dame, lorsque elle et lui se retrouve dans la petite chapelle qui jouxte la maison. Le lieu, symbolisant la plénitude, rapproche le couple. Ils deviennent intimes, partageant ainsi leurs plus profonds états d’âmes. Une fable sentimentale et dramatique ou même les ressentis les plus purs n’échappent pas au déchirement.

Dans les années quarante, il réalise sa trilogie religieuse, Going my Way (La Route semée d’étoiles, 1944), The Bells of Saint Mary’s (Les Cloches de Sainte Marie, 1945) et Good Sam (Ce bon vieux Sam, 1948), qui contribuera à son succès, grâce à une recette bien « mccareyenne ». Ses films baignent de fraîcheur et de nouveauté, chaque nouvelle séquence semble faire repartir le film à zéro. À cela s’ajoute l’irréductible figure du Mal (comme chez Lang ou chez Hitchcock). Pourtant chez McCarey, les personnages croient en leur miracle intérieur, tout ne pas dépend d’une forme de fatalité. Le réalisateur abordera le Mal de façon frontale dans My Son John, en 1952 : le héros vit dans une atmosphère dans laquelle pèse de multiples soupçons et semble délivrer un message venu d’outre-tombe. Le film est un échec.

Malgré cela, McCarey rebondit avec An Affair to Remember (1957), remake en scope couleur de Love Affair, narrant l’histoire de retrouvailles retardées qui finissent par s’accomplir. L’union est soumise à l’épreuve de son renouvellement. L’année suivante il renoue avec la satire dans Rally Round the Flag, Boys! (La Brune brûlante), adaptation contemporaine du burlesque et du comique de situation. En 1962, Satan Never Sleeps (Une histoire de Chine), apparaît, sept ans avant la mort du cinéaste, comme son œuvre testament. Avant de tirer sa révérence, il criera à nouveau sa haine du totalitarisme et de la dictature idéologique.

Ainsi va la vie pour McCarey. Un triste bilan qui, au fond, reflète bien la situation de ses films. McCarey, génie qui touche des sommets, réalisateur contradictoire au cinéma étrange et presque inclassable.

(1) McCarey, Anthologie du cinéma, 1972.
(2) Suivie de la publication d’un ouvrage: Leo McCarey, le burlesque des sentiments, collectif, Cinémathèque Française, 1998.
(3) Si l’on consulte Les Cahiers du cinéma (fondé en 1951) et Positif (fondé en 1952), on constate le peu de références faites au cinéaste (Les Cahiers du cinéma, n° 163, février 1965 et n°528, octobre 1998; Positif, n°290, avril 1985 et n°448, juin 1998). Et encore…: une douzaine de lignes, peu glorieuses, dans Positif, à propos de An Affair to Remember décrivent le film comme s’il avait « l’âge de la vieille grand-mère qui en est le personnage clé ».
(4) Lire l’excellent ouvrage Tod Browning, fameux inconnu, CinéAction n°125, octobre 2007.


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