Quelques heures de printemps

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Malgré des comédiens habités, le dernier film de Stéphane Brizé s’englue dans une froideur compassée et prétentieuse.

Que retient-on du dernier film de Stéphane Brizé ? D’abord la présence brute et mutique de corps gourds, de regards fuyants et anxieux. Ce sont des démarches claudicantes, des visages opaques, des gestes prosaïques qui tissent l’essentiel du film. La claustration morale et physique semble le lot de tous les personnages, il n’est pas jusqu’au second rôle le plus modeste qui ne contribue à cette sensation d’abattement. Même le vieux chien impressionne ; sa carcasse massive et sa trogne mélancolique ne sont pas sans faire écho à celles de Vincent Lindon, poignant dans le refoulement et la haine de soi. Mais Quelques heures de printemps est surtout magnétisé par Hélène Vincent, bouleversante en mère butée atteinte d’un mal incurable.

Cependant, le film s’avère beaucoup plus superficiel dès lors qu’il s’agit d’embrasser sa thématique brûlante (le suicide assisté). C’est que Brizé semble avant tout préoccupé par les performances césarisables de ses acteurs, lesquelles apparaissent en fin de compte trop délibérées, trop voyantes pour véhiculer le trouble et l’émotion souhaités. Ainsi, le personnage interprété par Hélène Vincent, saisissant jusqu’au moindre frémissement de son corps souffreteux, ne reste justement qu’un personnage. Sa voix haute et mélodieuse contraste avec son corps chétif : ce hiatus semble clamer conjointement deux refus, d’une part celui, diégétique, de la vieille dame à l’idée de mourir dans la déchéance physique et l’indignité ; d’autre part, celui peut-être inconscient de l’actrice face à la tyrannie d’un réalisateur qui étouffe ses personnages sous un regard froid et compassé.

De fait, la mise en scène multiplie les signes de contrôle excessif, d’asphyxie. Fixité des cadrages, plans larges, quasi-immobilité des personnages : plus encore que dans Mademoiselle Chambon (2009), Brizé semble aspirer à une forme d’épure, de neutralité, à l’abri du lacrymal autant que de la psychologisation. Mais l’équilibre ainsi cherché n’est pas tenable ; le film penche tantôt vers la platitude, tantôt vers l’affectation. Il existe, comme l’écrivait Barthes, une préciosité de la concision. Le minimalisme de la mise en scène semble tellement forcé que même un léger panoramique, jouant sur l’entrée et la sortie du champ de personnages attablés, produit l’effet d’un maniérisme laborieux. Il en va de même de l’usage du cinémascope, dont Brizé ne semble savoir que faire esthétiquement.

L’impression de fausseté que dégage Quelques heures de printemps découle aussi et surtout de la contradiction entre ce filmage affecté, glacial, et une prétention au naturalisme, sensible dans la mise en exergue des activités routinières, des silences interminables, des voix qui bafouillent, jusqu’aux crises d’hystérie subites des personnages. Voilà qui n’est pas sans évoquer À nos amours (1983) et ses engueulades familiales, à ceci près que Maurice Pialat cultivait une direction erratique, laissant souvent ses acteurs prendre possession des scènes – ce qui permettait, au détour d’une inflexion de regard ou d’un tremblé de caméra, de toucher des moments incandescents de vérité. Par comparaison, Quelques heures de printemps paraît être un film malhonnête, crispé, poseur, qui pour cacher son impuissance brandit l’audace présumée de son propos et l’excellence de ses comédiens. Or, les complexités inhérentes au sujet polémique du suicide assisté sont éludées, comme si Brizé avait eu peur de s’engager dans un sens ou dans l’autre, ou a minima de chercher à produire un vertige, une réflexion – une telle audace, certes, lui aurait sans doute mis à dos certains spectateurs. Au final, nous voilà devant un spectacle consensuel, petit-bourgeois, confiné non seulement physiquement mais aussi mentalement. Un beau gâchis.
 

Titre original : Quelques heures de printemps

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Durée : 108 mn


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