Psychose

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Le film Psycho, réalisé en 1960 par l’incontestable maître du suspense, Alfred Hitchcock, est une oeuvre unique dans la filmographie de son réalisateur ainsi que dans l’histoire du cinéma. Bien des choses ont déjà été écrites sur le sujet et quitte à en répéter quelques-unes, j’espère y apporter une nouvelle perspective.

Au retour d’un rendez-vous amoureux avec Sam Loomis (John Gavin) lors de son heure de dîner, Marion Crane (Janet Leigh) est chargée par son employeur de déposer 40,000 dollars à la banque. Dans un moment de folie, Marion quitte Phoenix pour aller rejoindre son amant à l’extérieur de la ville et ainsi commencer leur nouvelle vie avec cet argent. La route est longue et Marion se voit contraint de s’arrêter au Motel Bates pour y passer la nuit. Norman Bates (Anthony Perkins), le propriétaire du Motel qui y vit seul avec sa mère invalide, offre à Marion des sandwichs qu’elle accepte de manger en tenant compagnie à Norman quelques instants avant de retourner à sa cabine pour dormir.

Marion prend une douche alors que la silhouette d’une femme pénètre dans la chambre et poignarde Marion à mort. Suite à sa fuite, Marion est recherchée à la fois par sa soeur Lila (Vera Miles) qui se rend jusque chez Sam pour la retrouver et par Milton Arbogast (Martin Balsam), un détective privé engagé par l’employeur de Marion. Au cours de son enquête, Arbogast sera aussi poignardé à mort par la femme résidant dans la maison derrière le Motel Bates. Finalement, Lila et Sam se rendront au Motel Bates et y découvriront la vérité…

Alfred Hitchcock

Né en Angleterre en 1899, Alfred Hitchcock réalise son premier film dès 1925. The Pleasure Garden est un film muet aux allures expressionnistes, une caractéristique qui se retrouve dans plusieurs des films du réalisateur incluant Psycho. Il a d’ailleurs travaillé quelque temps pour les studios Ufa en Allemagne pendant la période expressionniste du cinéma. Son prochain film, The Lodger (1926), est un succès commercial et le premier d’une série de films réalisés en Angleterre aux cours des années trente et dans lesquels Hitchcock a exploré le genre qui l’a rendu célèbre : le film de suspense.

En 1940, Hitchcock devient réalisateur de films américains et poursuit ses expériences cinématographiques avec Lifeboat (1944), le huis clos par excellence, et Rope (1948), tourné en neuf plans seulement ; il s’agit aussi de son premier film couleur. De 1950 à 1960, Hitchcock réalise les films aujourd’hui considérés comme des chef-d’oeuvres dont Rear Window (ou The Dog Who Knew Too Much !) (1954), Vertigo (1958), North By Northwest (1959) et bien sûr, Psycho. Au cours de cette période, Hitchcock deviendra lui-même une vedette grâce à la série télévisée qui porte son nom et au cours de laquelle il apparaîtra toujours pour présenter le film de la semaine. Alfred Hitchcock continua de réaliser des films jusqu’à sa mort, le 28 avril 1980; ses films sont un héritage cinématographique global et nous lui en sommes tous infiniment reconnaissants.

Psycho : placement thématique

L’étude de l’ensemble de l’oeuvre d’un réalisateur permet de découvrir les thèmes et techniques récurrentes de ce dernier. Alfred Hitchcock a réalisé plus de cinquante films et ceux-ci permettent très facilement de repérer cinq thèmes qui désormais seront précédés de l’adjectif hitchcockien. Psycho est un film clef dans la filmographie d’Alfred Hitchcock puisqu’il permet d’y déceler chacun de ses cinq thèmes.

Le film de suspense est le genre dans lequel Hitchcock a le plus travaillé et cela explique partiellement la dominance de certains thèmes narratifs dont celui de placer un homme ordinaire dans une situation extraordinaire. James Stewart, qui a travaillé avec Hitchcock dans plusieurs films dont Rope et Vertigo, est l’exemple idéal de cet homme ordinaire dans The Man Who Knew Too Much. Psycho présente une femme ordinaire (Marion) qui se voit placée dans une situation extraordinaire (la possibilité de voler 40,000 dollars). L’employeur de Marion souligne d’ailleurs la nature étrange de la transaction à son acheteur : « A cash transaction of this sort is most irregular ». Cette situation unique pousse Marion à agir de manière irrationnelle et celle-ci se retrouvera dans une situation encore plus étrange : locataire au Bates Motel.

Le meurtre est au centre du film de suspense mais il ne s’agit pas de violence gratuite dans les films du maître. La violence est une forme d’art dans les récits d’Alfred Hitchcock, aussi bien dans la diégèse du film que cinématographiquement. Un meurtre est une chose rare et demande une grande préparation de la part des protagonistes. Dans Vertigo, le meurtre est l’élément clef de l’intrigue mais c’est le jeune meurtrier de Rope, Brandon, qui le dit mieux :

« I’ve always wished for more artistic talent. Well, murder can be an art too. The power to kill can be just as satisfying as the power to create. Philip, do you realize we’ve actually done it, exactly as we planned and not a single infinitesimal thing has gone wrong. It was perfect. An immaculate murder. »

Il n’y a que deux meurtres dans Psycho et pourtant, il s’agit des moments les plus mémorables de l’histoire. Norman Bates ne tue pas, c’est madame Bates la véritable meurtrière. Cela demande donc une mise en scène très complexe pour Norman incluant un costume, une perruque et même un certain jeu (voix). Cinématographiquement, les deux meurtres du film présentent cette violence d’une manière totalement originale. La scène de la douche est aujourd’hui bien connue mais notons tout de même que jamais une seule prise de ce montage rapide ne montre le couteau percer la peau de Marion. Tout de même, la séquence présente clairement le meurtre de Marion. Quant à Arbogast, une prise extraordinaire permet au spectateur de partager la descente des escaliers de ce dernier. Chez Hitchcock, comme chez Francis Ford Coppola dans la réalisation des films The Godfather (1972-1974-1990), la violence filmique est présentée avec beaucoup de talent et d’originalité.

Les personnages féminins n’ont pas la vie facile dans les films d’Hitchcock. Marnie, kleptomane au passé refoulé ; Melanie Daniels, jeune fille de papa qui amène avec elle la furie des oiseaux sur une petite communauté au large de San Francisco; et Marion Crane, jeune femme célibataire qui, dans un moment de folie, entraîne sa propre mort ainsi que celle d’un détective privé. En effet, la femme est souvent la source du mal dans les films d’Alfred Hitchcock et jamais de manière plus évidente que dans le film Psycho. C’est la sensualité de Marion qui éveille les pulsions de Norman et qui le pousse au meurtre.

En fait, le psychologue du film explique bien que ce n’est pas Norman lui-même qui est responsable mais bien la mère de Norman. Les événements dramatiques de Psycho sont donc entièrement dus à deux femmes: Marion et madame Bates. Etrangement, la relation d’Hitchcock avec sa propre femme est à l’inverse de la tendance dans ces films et l’opinion d’Alma Reville était toujours de première importance pour le réalisateur. Atom Egoyan s’inspira sans doute de Psycho dans la réalisation de Felicia’s Journey (1999), drame psychologique aux allures hitchcockiennes. Joseph Ambrose Hilditch, comme Norman Bates, est un tueur en série hanté par le souvenir de sa mère défunte et qui souffre de tendances voyeuristes criminelles.

La question du suspense versus la surprise en est une que François Truffaut n’a pas hésité à aborder dans ses entretiens avec Hitchcock. Il s’agit de la question primordiale à laquelle tout réalisateur de films de suspense se voit confronté. Psycho est l’aboutissement de plusieurs décennies d’expériences de la part de son réalisateur et la dose de suspense et de surprise est à point. Le suspense est créé dès le moment où Marion quitte Phoenix et est aperçue par son employeur dans la rue. Le suspense augmente de scène à scène avec la rencontre d’un policier, une phobie personnelle d’Hitchcock, et du vendeur d’automobile. C’est justement au moment le plus calme et sécurisant, Marion seule dans la douche, que la plus grande surprise intervient. Les 40,000 dollars que Marion a piqués ne sont en fait qu’une fausse piste, un MacGuffin comme seul Hitchcock sait les introduire.

Le suspense revient donc à l’attaque suivant la recherche des autres personnages pour Marion et le punch final du film est parmi les plus grandes surprises de l’histoire du cinéma : Rosebud est une luge, Vader est le père de Luke et madame Bates et Norman ne font qu’un !
Le thème hitchcockien final dont témoigne Psycho est le voyeurisme. De par sa nature même, le visionnement d’un film est un acte de voyeurisme. En effet, nous sommes cachés dans la noirceur et regardons des individus à leur insu; le cinéma nous permet de témoigner des événements les plus étranges sans pour autant être directement impliqués. Mais les films d’Alfred Hitchcock vont plus loin en introduisant un voyeur diégétique. C’est le cas de James Stewart dans Rear Window, ce photographe confiné à un fauteuil roulant qui s’amuse à épier ses voisins à l’aide de ses téléobjectifs. Le spectateur ne peut faire autrement que de partager ce plaisir de voyeur; c’est la magie du cinéma.

Dans Psycho, le voyeur est Norman Bates qui prend plaisir à regarder Marion se déshabiller à travers un petit trou dans le mur. Cet acte de perversion est double pour le spectateur qui non seulement partage le peep-show avec Norman mais épie aussi le voyeur lui-même. Ce partage amène avec lui le processus d’identification primaire du spectateur avec Norman et c’est pourquoi nous partageons son émoi lorsqu’il découvre le cadavre ensanglanté de Marion. Pire, lorsque Norman cherche à cacher le crime de sa mère en enfouissant la voiture et le cadavre de Marion dans le marais, la voiture s’arrête pour un instant et les spectateurs partagent tous un moment de panique avec Norman. Hitchcock fait de nous, à notre insu, des témoins et des complices avec un meurtrier. Génial.

Psycho : placement historique

Psycho est un film très important dans l’histoire du cinéma américain. Avec ce film, Hitchcock a brisé plusieurs tabous de l’époque et a profondément changé la façon selon laquelle les films sont visionnés aujourd’hui. La censure en 1960 n’est pas ce qu’elle a déjà été à l’époque du code Hays mais Psycho présente plusieurs premières. Dès la scène d’ouverture, Marion Crane est présentée en soutien-gorge et passera une bonne portion de son temps-écran dans cet état. Hitchcock confie même à Truffaut qu’idéalement Marion n’aurait pas dû porter de soutien-gorge à ce moment. Cette première scène rend évidente la nature sexuelle de la rencontre dont nous sommes témoins.

Un code de couleur est même utilisé puisque Marion porte un soutien-gorge blanc au début du film et un autre, celui-ci noir, lorsqu’elle décide de piquer les 40,000 dollars. Suite à une discussion avec Norman Bates, Marion décide de retourner à Phoenix et remettre l’argent qu’elle a volé, c’est alors qu’elle se dérobe complètement pour se nettoyer, à la fois physiquement et moralement, dans sa douche finale. Un plan coupé de la version finale du film mais disponible sur le DVD montre Marion qui retire son soutien-gorge avant de prendre la fatidique douche. D’autres tabous, moins importants, sont aussi franchis dans la réalisation de ce film. Psycho est le premier film dans lequel une toilette est visible. Jusque là, la censure américaine ne permettait pas de montrer à l’écran cet objet d’usage courant.

La narration du film était problématique pour Hitchcock puisque son actrice principale, celle qui figure sur toutes les affiches et publicités, meurt au milieu du film. A cette époque, le public américain pouvait se procurer un billet et se trouver un fauteuil dans la salle à n’importe quel moment, même en cours de projection. Pour éviter que les surprises soient dévoilées avant le temps et pour s’assurer d’un effet maximum, Alfred Hitchcock institua une campagne publicitaire qui stipulait qu’aucun spectateur ne serait admis après le début de la projection. Cela eu pour effet de créer des files devant les cinémas qui présentaient le film, et le bouche à oreille se propagea rapidement. Aujourd’hui, les projections aux heures précises sont un standard mais c’est à Alfred Hitchcock que nous le devons. La bande-annonce du film, une tournée des lieux de tournage présentée par le réalisateur lui-même induit aussi le spectateur en erreur puisque la femme sous la douche n’est pas Janet Leigh mais Vera Miles (dont les cheveux sont visiblement secs), question de ne pas vendre la mèche.

Dans la carrière de son réalisateur, Psycho est un film unique. D’abord, Hitchcock tourna le film en seulement 5 semaines (dont une semaine sous la douche) avec un budget de 800,000 dollars. Pour minimiser les dépenses, Hitchcock utilisa l’équipe de production de sa série télévisée Alfred Hitchcock Presents. Le film ne suit pas la tendance de ces films précédents comme Vertigo et North By Northwest, des films à grands budgets, en couleurs, mettant en vedette des idoles hollywoodiennes et aux histoires complexes. Tout le contraire pour Psycho. Tourné en noir et blanc, Psycho raconte une histoire très simple et met en vedette une inconnue qui en était à son premier long-métrage. Avec ce film, Hitchcock et Janet Leigh ont donné naissance à un nouveau genre : le film du tueur en série (slasher films).

La fille de Leigh, Jamie Lee Curtis, aura aussi un premier rôle filmique important dans Halloween (Carpenter, 1978), donnant naissance au terme Scream Queen. Halloween H2O (Miner, 1998) rend un hommage subtil à Psycho puisque Janet Leigh fait partie de la distribution. Psycho est inspiré d’un fait vécu, le meurtrier Ed Gein qui inspira aussi The Texas Chainsaw Massacre (Hooper, 1974), The Silence Of The Lambs (Demme, 1991) et American Psycho (Harron, 2000). Les maniaques du cinéma d’horreur modernes, Jason Vorhees, Freddy Krueger, Michael Myers et les tueurs de la série Scream (Craven, 1996-1997-2000) doivent tous quelque chose à Alfred Hitchcock. Il en est de même pour Robert Zemeckis et son film What Lies Beneath (2000) ainsi que Danny Boyle avec Shallow Grave (1994).

Malgré l’unique place de Psycho dans la filmographie d’Alfred Hitchcock, il n’y a aucun doute qu’il s’agit de l’un de ces films. A part les cinq thèmes développés plus haut, Psycho présente d’autres éléments plus ponctuels qui appartiennent au cinéma hitchcockien. La musique de Bernard Herrmann, collaborateur fréquent d’Hitchcock, est un élément essentiel du film et l’impact de la scène de la douche, ponctuée de quelques coups de violons, lui est dû en grande partie. John Williams reprendra cette idée dans la ponctuation musicale de Jaws (Spielberg, 1975).

Alfred Hitchcock était reconnu pour figurer dans chacun de ses films et le public s’amusait déjà à cette époque de repérer le fameux réalisateur dans le film. Fidèle à la tradition, Hitchcock se trouve à l’extérieur du bureau où travaille Marion lorsque celle-ci rentre de son rendez-vous amoureux en début de film. L’importance de la consommation de nourriture est aussi une constante du cinéma d’Alfred Hitchcock et encore ici, Psycho ne fait pas exception. Norman mange continuellement dans le film et partage aussi un repas avec Marion. Et que dire de ces oiseaux qui hantent le décor du bureau de Norman ? Une image prémonitoire des horreurs à venir ? C’est justement le type d’humour dont était capable Hitchcock. Marion porte d’ailleurs le nom de Crane, une race d’oiseau.

Psycho : suites et remake

Au début des années 80, le sequel est le mot d’ordre à Hollywood et les films d’horreur en particulier se répètent et se multiplient. Les séries Friday the 13th et A Nightmare On Elm Street en sont deux bons exemples, malheureusement pas les seuls. Les studios Universal produiront plusieurs suites du classique d’Alfred Hitchcock dont Psycho II (Franklin, 1983), Psycho III (1986) réalisé par Norman Bates lui-même, Anthony Perkins, et deux téléfilms Bates Motel (Rithstein, 1987) et Psycho IV (Garris, 1991). Il va sans dire que ces films sont tous de pauvres imitations et aucun d’entre eux ne présente la touche unique d’Alfred Hitchcock. Universal en fait d’ailleurs une habitude de rentabiliser un excellent film en tournant de pauvres suites sans la participation du réalisateur original. Steven Spielberg l’apprendra à ses dépends suite au succès de Jaws en 1975.

En 1998, Universal et Gus Van Sant espèrent renouveler le succès de Psycho en tournant de nouveau le film, pratiquement plan par plan identique à l’original mais cette fois Marion Crane est interprétée par Anne Heche et Vince Vaughn donne vie à Norman Bates. Bien que cette reprise a le mérite de vouloir rendre accessible un classique cinématographique à une nouvelle génération en le tournant en couleur, Psycho est une reprise très décevante. L’idée de reprendre plan par plan le film original est à première vue intrigante, mais en bout de ligne inutile. Pourquoi pas simplement visionner l’original ? Les quelques modifications que Van Sant s’est permis sont ridicules. La masturbation de Bates, les inserts étranges lors des deux meurtres et la couleur elle-même n’ajoutent strictement rien à l’univers de Psycho et la magie est de nouveau absente. Il semble clair que seul Hitchcock pouvait tourner Psycho.

Titre original : Psycho

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Durée : 109 mn


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