Premier contact

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Rencontrer les extraterrestres pour redécouvrir la beauté de l’existence humaine.

« Qu’est-ce ce qu’il a de spécial mon prénom, maman ?
– C’est un palindrome, Hannah. Il s’écrit de la même manière dans les deux sens.
»
Tout comme Premier contact, dont le montage, circulaire, embrasse une conception cyclique de l’existence humaine, triste car magnifique.

Après Babel

Tout part de l’hypothèse de Sapir-Whorf, un linguiste et un anthropologue américains qui soutinrent que la perception de la réalité dépend des catégories linguistiques propres à chaque langue. Évoquée discrètement par le physicien Ian Donnelly (Jeremy Renner), elle impacte pourtant le langage même du dernier film de Denis Villeneuve.
La communication en est le cœur. Face à l’arrivée soudaine de douze vaisseaux extraterrestres en différents lieux, les États terriens tentent de prendre contact avec leurs habitants. Mais chacun y va de son côté, sans tenir compte des avancées des autres commissions de linguistes, jusqu’à ce que la menace d’une guerre totale contre ces entités radicalement étrangères ne prenne le pas sur la diplomatie. L’arrivée des extraterrestres met en lumière la grande faiblesse de l’humanité : depuis Babel, elle est divisée.

 

 

Le cinéma, utopie de la communication

À l’inverse des myriades de cultures humaines incapables de communiquer entre elles, les extraterrestres dialoguent avec une écriture circulaire, dans laquelle des glyphes s’insèrent les uns dans les autres pour former un sens global. Écriture cyclique, donc conception du temps cyclique. Passé, présent et futur s’entremêlent harmonieusement dans ces calligraphies délicates. Et s’entremêlent tout autant dans le montage du film. Flash-backs, flash-forwards et instants présents dansent ensemble, sans que l’on puisse réellement les distinguer. Louise Banks (Amy Adams), linguiste et mère endeuillée de sa fille adolescente, voit surgir devant elle, dans des plans où toute musique se tait, la figure juvénile de son enfant disparu, qui, avec malice, lui révèle un indice pour décrypter le langage extraterrestre.

À l’image des glyphes, le montage de Joe Walker est organique. Chaque élément s’inscrit dans un autre, et le tout forme un continuum de sensibilité. La première scène est admirable de raccords sons et gestes : à la tête du nouveau-né fait écho le crâne rasé de la défunte adolescente, au « Je t’aime » de la petite fille répond immédiatement le « Je te hais » de la jeune adulte. Entrées dans la boucle du montage, les images s’enrichissent mutuellement, dévoilent des pans entiers de la réalité extérieure et intérieure, deviennent forme-sens sans recours au discours. Utopie ultime de la communication, le cinéma, poussé à ce point de sensorialité de l’image et du son, se mue en seule langue proprement universelle.

 

 

Ressusciter les sensations

Premier contact remplit à merveille le rôle dévolu au cinéma de science-fiction : nous interroger sur notre existence par le biais des figures-miroirs que sont les extraterrestres. L’histoire de Louise en est l’incarnation. Le tragique de sa vie est posé dès la première séquence : par un jeu subtil d’ellipses et de raccords, son existence se fait plaque sensible, faite de joies et de douleurs, qu’interrompt la mort de sa fille.

Marquée par le deuil, profondément ancré dans les grands yeux d’Amy Adams, la majorité du film se déroule dans un environnement d’où les sensations paraissent anesthésiées. Le monde que voit Louise est pauvre en couleurs, dominé par le gris, le blanc et le noir, et très géométrique, à l’instar des fenêtres rectangulaires qui strient la vision du lac au bord de sa grande maison vide. Son histoire est celle d’une résurrection, non pas sociale, mais sensorielle.
Ovoïdes, les vaisseaux extraterrestres fonctionnent comme le lieu par excellence de son initiation. Dans un décor très épuré, presque noir et blanc, où un filtre de fumée perturbe la vision et interdit un regard d’ensemble sur les créatures, Louise enseigne et apprend les vertus du langage, et de l’existence. C’est ici que des visions fulgurantes aux tons chair et or l’assaillent et la stimulent. Premier contact avec les extraterrestres, premier contact avec la vie.

Premier contact
fait partie de ces rares films dont on ressort profondément bouleversé. Parce qu’après deux heures de projection, nous aussi reprenons contact avec la vie, qui prend une saveur extraordinaire. Tout comme Louise, nous entrons dans une conception circulaire de l’existence humaine. À la fameuse question de l’Éternel Retour nietzschéen de savoir si nous acceptons de revivre indéfiniment notre vie à l’identique, Premier contact répond avec l’amertume de la beauté : oui.

Titre original : Arrival

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Durée : 116 mn


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