Precious Life

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Particulièrement investi, le journaliste israélien Shlomi Eldar relance le débat autour du conflit israélo-palestinien avec « Precious Life », documentaire poignant, parfois trop subjectif.

Shlomi Eldar sait de quoi il parle. Journaliste israélien pour la chaîne de télévision privée israélienne Channel 10, il a été reporter de guerre et correspondant dans la bande de Gaza pendant vingt ans. De retour en Israël, un ami médecin lui demande de couvrir le cas de Muhammad Abu Mustaffa, un bébé palestinien né à Gaza et souffrant d’une maladie immuno-déficiente, que seule une transplantation de moelle osseuse dans un hôpital de la banlieue de Tel Aviv pourrait sauver. Armé de sa caméra, il réalise un reportage qui, à lui seul, suffit à réunir l’argent nécessaire pour l’intervention chirurgicale, grâce à l’aide miraculeuse d’un donateur anonyme israélien, dont on apprendra seulement qu’il a perdu un enfant dans la guerre à Gaza.

 

Le contexte politique et les tensions perpétuelles entre les deux peuples, Shlomi Eldar les connaît, donc. La vie à Gaza, aussi, pour en avoir rendu compte durant des années. Ce qu’il connaissait moins, c’est le sentiment inexplicable qui l’a retenu à l’hôpital après que les fonds pour soigner Muhammad furent levés. C’est là que le film commence, au moment où le journaliste se fait documentariste et décide que cette histoire, il faut la filmer, la montrer. De simple rapporteur des faits, Shlomi Eldar mute protagoniste d’un scénario au rythme si trépidant (une fois l’argent rassemblé, il faut trouver les donneurs, tandis que la guerre éclate à Gaza et que le blocus est renforcé) qu’il aurait presque suffi de poser la caméra et de laisser tourner.

C’est d’ailleurs ce qui fait défaut à Precious Life, par ailleurs exemplaire en matière de représentation du conflit, problème de masse rapporté à l’individu. Dès l’instant où Shlomi Eldar prend conscience du quotient cinégénique de son sujet, il n’a de cesse d’en travailler la matière pour en faire un film de cinéma, qu’il rêve drame psychologique en même temps que détonateur de la conscience collective. Problème : l’homme est journaliste, et ses compétences en matière de réalisation plutôt limitées. Du coup, d’innombrables voix off et une musique tragique omniprésente alourdissent considérablement un propos suffisamment puissant pour éviter l’explication de texte. Difficile de lui en tenir rigueur, tant la situation rend compréhensible un tel investissement personnel, mais l’implication toute subjective de l’auteur prend parfois le pas sur le rapport au réel.

Pour autant, quelques scènes font forte impression. Une notamment : lors d’un débat entre Eldar et la mère du garçon, celle-ci tient des propos profondément anti-israéliens malgré l’aide qu’elle reçoit, explique que la vie n’est pas précieuse et qu’elle soutiendrait, plus tard, la mort de son fils en martyr de la cause palestinienne. Si elle s’excuse par la suite pour ces paroles, la séquence, proprement hallucinante, souligne à quel point la haine entre les peuples arabes et juifs est ancrée et difficile à évacuer. Rien de bien neuf, mais ces cinq minutes, qui montrent la mère de Muhammad face caméra, expriment mieux le conflit et marquent plus durablement que tous les commentaires du journaliste.

Precious Life s’articule ainsi autour des visites successives de Shlomi Eldar à l’hôpital, du rapatriement problématique de la famille gazaouie pour les tests de compatibilité en pleine guerre, et, surtout, du dialogue entre le journaliste et les parents du garçon, qui ne comprennent pas très bien pourquoi leur cas l’intéresse tellement. C’est sans doute l’aspect le plus intéressant du film, qui interroge, parfois malgré lui, la possibilité d’un véritable échange, vidé de tout sous-entendu ou arrière-pensée, entre israéliens et palestiniens. La réponse n’est pas donnée, bien entendu, mais Precious Life n’en finit pas d’en explorer les contours, et pose habilement, même si de manière trop affectée, des cas de conscience aussi bien personnels que collectifs.


Titre original : Precious Life

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Durée : 100 mn


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