Poetry

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Comment atteindre le Nirvana en passant par la Poésie : sujet séduisant pour réalisation frigide. Lee Changdong ne prend pas vraiment de risque. Un engouement cannois excessif pour ce Prix du Meilleur scénario ?

Un cadavre en jupette dans le ruisseau. Mémé dans les villes déambule à la recherche d’une âme qui vive. Atteinte d’Alzheimer, Mija a beau être restée fraîche, son cerveau s’évapore, la source des mots se tarit. Pour l’irriguer, elle va suivre des cours de poésie. Oublier le verbe académique et le remplacer par des sensations : comment transformer une tare en force ? Lee Changdong observe avant tout les errances de son héroïne en quête d’inspiration : elle n’a qu’un mois pour rendre un poème à son professeur. Concentrée sur les beautés du monde, celles-ci la paralysent pourtant, jusqu’à ce qu’elle se trouve plongée dans les eaux troubles d’une sordide histoire de viol collectif.

Frêle et fleurie, l’élégante mamie ploie, mais ne rompt point au pied de sa montagne de désespoir. Les scènes les plus réussies du film font justement ressentir son isolement : vases non communicants, espaces compartimentés, doubles champs. De l’inscription aux cours sur fond d’aérobic à la contemplation d’une pomme parasitée par la tonitruante daube musicale de son petit-fils abruti par la télévision – autre boîte très étroite –, en passant par la réunion au sommet des vautours-pères de famille, Mija semble évoluer dans un aquarium.

Petit oiseau coloré et exotique que tout le monde croit déconnecté de la réalité, c’est pourtant elle qui la touche au plus près, traversant les espaces sans y adhérer alors que certains demeurent prisonniers de leurs propres corps, comme ce vieux « président » hémiplégique qu’elle douche une fois par semaine, ou son porcelet d’adolescent à charge, terré dans sa chambre le plus clair de son temps, avec ou sans ses amis puants. D’autres se complaisent avec cynisme dans une bienséance cruelle et tactique, guidée par leurs propres intérêts.

Les abricots se jettent sur le sol, s’abîment et se laissent écraser en vue de leur renouveau.

Tantôt repoussée ou sur-sollicitée : pour Mija, comment conserver son intégrité dans un monde vidé d’empathie ? La genèse de son poème est le fruit d’un parcours brutal entre traversée des apparences et surpassement des entraves physiques. En l’espace d’un mois, elle se lance le défi paradoxal de devenir un pur esprit, se substituant finalement à l’énigmatique collégienne suicidée : autrement dit, une pure incarnation. D’où son statut d’étrange étrangère, de fantôme – presque – vengeur en gestation, alors même qu’elle n’a jamais été plus proche des éléments, à l’image de sa page blanche graffitée par la pluie, un des moments les plus marquants du film.

Malheureusement, sur la durée, on compte peu de scènes véritablement sensuelles, la plupart se bornant à une contemplation poseuse et distante. Les lectures de poèmes ne suffisent pas à nous enflammer, et pour cause : nous sommes au cinéma, pas au théâtre. Plutôt que de nous apprendre effectivement à voir pour la première fois, Lee Changdong étaye un discours emprunté sur la poésie, à la limite du réac’ : en ces temps de chien, la poésie serait moribonde. Dommage. Compte tenu du sujet, de son scénario, de son traitement, on attendait plutôt une étreinte semblable à celle connectant la jeune morte à son aînée. Cette relation, en se déployant doucement, inverse d’ailleurs peu à peu les rapports (bio)logiques d’ancêtre à enfant : la poésie ou la fusion des contraires et la transgression des barrières…

Aucun débordement, cela dit, ni aucune prise de risque. Et un mysticisme hypothétique que l’on doit extraire dans le pressoir de l’analyse. Les rares audaces, comme cette déprimante scène de sexe entre vieillards, où l’on ressent encore le corps comme une paroi étanche, restent anecdotiques, noyées dans des stéréotypes d’une naïveté banale nous faisant douter de la profondeur du propos : Ceux qui aiment la poésie portent toujours des fleurs dans leur cœur. Sans blague ?

Titre original : Poetry

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Durée : 220 mn


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