Lily et sa mère sont en voiture. L’une meurt, et Lily, hébétée, reste à côté du corps de sa mère, sans prévenir les secours, sans rien faire. Une marginale, une folle : en une séquence, on sait qu’il y a là un personnage, et la réalisatrice ne s’embarrasse pas de chichis pour nous le car-jacker en pleine face. On pense évidemment à Cassavetes, que la cinéaste cite ouvertement, jusque dans le filmage et le choix d’un tournage à deux caméras (aussi par faute de moyens), une à l’épaule, l’autre sur pied. Cette économie aboutit à un univers visuel tressautant, saisissant sur le vif un réel pourtant patiemment imaginé.
Quant à l’héritage thématique du cinéaste new-yorkais, il serait cette capacité à observer des personnages féminins échappés des normes, incontrôlables. Pourtant, là où les femmes chez Cassavetes étaient des icônes de l’hystérie condamnées à n’exister à l’écran que par la seule expressivité de leurs folies, ici, la femme n’est pas une énigme, et encore moins victime d’un esprit dérangé.
Lily, personnage pur, qui n’évolue pas, reste campée dans une posture d’affranchie, et c’est à son contact que Clara envisagera son existence sous un œil résolument moins terre à terre. Fabienne Berthaud réussit le pari de créer un univers féminin atypique sans tomber dans le décorum farfelu, et n’épargne pas à son personnage d’artiste sa part de laideur, d’égoïsme et surtout de cruauté. Quelques belles scènes champêtres à la lumière encore une fois savamment captée illustrent une fraternité renaissante en contrepartie d’un film plus dramatique qu’on ne l’imaginait. Et surtout, la découverte par Clara d’un mode de vie alternatif garantit aux spectateurs quelques nostalgiques réflexions sur le « ai-je bien choisi ma vie ? ». Car la rigueur bien pensante d’un personnage qui a, au début du film, tout l’apanage de la réussite, se fissure peu à peu, craque à la vue de son propre malheur.
Réalisant un film de campagne aéré au rythme dynamique, la romancière s’en sort très bien et s’échappe de la littérature pour avancer avec aisance dans un langage cinéma plutôt fluide. Le duo d’actrices s’avère très convaincant, et la fiction, pleine de couleurs et de sucreries, invente une sorte de Martine trash hors de contrôle, qui vaque, la tête haute, et défie toutes les citadines de mettre en question sa liberté.