Nue propriété

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Tout juste récompensé du Grand Prix du Jury du festival Premiers Plans à Angers pour son premier long métrage Ça rend heureux, Joachim Lafosse s’immisce au sein d’une famille révoltée. Pascale (Isabelle Huppert), la mère, souhaite changer de vie, vendre la propriété familiale et partir avec son amant ouvrir une chambre d’hôtes dans les environs […]

Tout juste récompensé du Grand Prix du Jury du festival Premiers Plans à Angers pour son premier long métrage Ça rend heureux, Joachim Lafosse s’immisce au sein d’une famille révoltée. Pascale (Isabelle Huppert), la mère, souhaite changer de vie, vendre la propriété familiale et partir avec son amant ouvrir une chambre d’hôtes dans les environs de Bordeaux. Ses fils (Jérémie et Yannick Rénier), faux jumeaux âgés de 25 ans, ne sont pas de cet avis et luttent pour garder la maison de leur enfance. Pascale peine à faire entendre sa voix entre son ex-mari dont elle dépend financièrement, son amant aux discours moralisateurs et ses fils, leurs relations se transformant en guerre fratricide. Finalement, qui cédera ?

Nue propriété est un drame intimiste d’une grande intensité où l’individualité de chacun s’affirme et s’entrechoque sans tomber dans la caricature, où les cris et les pleurs sont finement dosés, le réalisateur parvenant à insérer des thèmes personnels. On s’invite dans cette famille, sans permission, en interrompant les taquineries et les regards complices des personnages. La complicité cache en réalité un malaise latent. Source principale du conflit : la propriété, à la fois décor et protagoniste. Maison familiale dont les enfants ne veulent pas se séparer. Maison pleine de souvenirs amers pour la mère. À qui appartient-elle : à la mère qui l’a en partie payée ou aux fils qui y ont construit leur vie ou même au père, divorcé, qui n’y vit plus ? Les avis tergiversent et le spectateur peut revêtir l’habit du juge. Pour qui trancher ? Le choix n’est pas si simple tant les personnalités sont fortes, surprenantes et mouvantes. À la barre des accusés sont appelés Thierry, le défenseur, François, partagé entre son amour et celui pour sa mère et Pascale, seule face à ses décisions. Viennent s’ ajouter des témoins, Jan l’amant moralisateur et l’ex-mari honorable « banquier ». Les présentations faites, le spectateur peut désormais évaluer l’ambiguïté des relations.

Thierry, blagueur dans la première scène, nous apparaît odieux, vociférant des insultes sur sa mère. Doit-on lui reprocher d’être attaché à la maison de son enfance ? L’espoir du second fils ne nous satisfait guère davantage. François reste passif, ne prend aucun parti et devient la victime. Notre attention se tourne alors vers la mère, étouffée et dominée par ses enfants. Elle ne cesse de les nourrir et eux de la dévorer, à l’image de récurrentes scènes de dîners. Elle emprisonne ses désirs qui l’enferment dans la maison. Finalement, les trois personnages baignent tous dans un état de tristesse et de confusion existentielles. À qui la faute ? Le spectateur jugeant la situation peut émettre plusieurs hypothèses. La mère ne devrait-elle pas accorder plus de place à ses envies, cesser de mentir à propos de son amant ? Quant aux jumeaux , ne devraient-ils pas vivre leur vie d’adulte, à prendre leur envolée et suivre le processus habituel de la séparation familiale ?

Au cœur de cette maison, le cocon familial qu’on croit, par habitude, infaillible et stabilisateur se révèle faux. Qui est qui ? On est déboussolé face aux rôles inversés : Thierry et François deviennent les parents de Pascale. À cause de cette confusion, les trois personnages nous apparaissent prisonniers de cette maison. La boucle est bouclée et tous reviennent au point de départ. Aucun des trois ne parviendra à s’émanciper et à briser cet amour fusionnel. Tous sont coupables.

Ces thèmes brillamment entremêlés les uns aux autres, sont la conséquence directe du divorce, facteur de complexité. Qui plus est, le réalisateur extrapole sur ce sujet jusque dans les préoccupations de sa patrie. Vivre chacun de son côté, comme le font la Wallonie et la Flandre, réduit les relations. En prenant la famille comme reflet de la Belgique, le film se révèle être doublement personnel.

Ce réalisme des propos est rendu par des plans-séquences fixes. Les personnages entrent et sortent du champs comme sur une scène de théâtre. Malgré cette recherche d’esthétisme, on ressent de l’ennui face à cette caméra statique, engourdie et objective. Le film manque de dynamisme et reste dans une convention classique. Il aurait été intéressant que le réalisateur filme depuis son point de vue, amplement souhaité puisque le cinéaste trouve la justification de cette histoire dans sa propre expérience. Malgré tout, ce détail ne trahit pas l’ intensité émotionnelle des scènes et la qualité d’interprétation des acteurs, Isabelle Huppert trouvant encore une fois un rôle à sa portée. Après avoir interprété les femmes incestueuses dans Ma Mère, elle s’interroge à nouveau sur l’amour qu’elle doit porter à ses enfants. La qualité du jeu vient aussi des frères Rénier, très crédibles. Avoir deux authentiques frères réhausse le réalisme.

Marchant sur les pas des frères Dardenne, J. Lafosse signe une œuvre intimiste et minimaliste, portée par des brillantes interprétations. Le cinéma belge trouve un second souffle et semble avoir trouvé une figure : Jérémie Rénier.
 

Titre original : Nue propriété

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Durée : 90 mn


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