Notre petite soeur

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Deuil et famille recomposée dans le nouveau film, élégant, de Kore-eda Hirokazu.

Présenté à Cannes en mai dernier, en compétition officielle, Notre petite sœur n’avait pas beaucoup marqué : c’est qu’il avance à pas feutrés, bel objet parfois engoncé dans une posture picturale marquée – il arrive que la composition des plans, extrêmement travaillée, asphyxie paradoxalement la narration limpide. On y suit quatre sœurs, entre vingt et trente ans, qui vivent toutes ensemble dans une grande maison dont elles ont hérité, à Kamakura, sur la côte est du Japon. La vie y est paisible à défaut d’être très excitante. Les quatre jeunes femmes sont toutes très belles et bien habillées, elles préparent chaque année de l’alcool de prune selon la tradition familiale, jonglent entre relations amoureuses bancales et jobs alimentaires. Leur père meurt, c’est tout sauf un séisme, elles ne l’avaient pas vu depuis une quinzaine d’années. Elles se rendent néanmoins aux funérailles, se découvrent une demi-sœur de quatorze ans, Suzu, qu’elles apprenent à aimer et qui vient bientôt vivre dans la maison de Kamakura, bouleversant en douceur l’équilibre sororal, occasion de repenser les schémas filiaux et les deuils non faits.

Le cinéma de Kore-eda Hirokazu est un cinéma de la délicatesse, et Notre petite sœur vient une nouvelle fois gonfler les rangs d’une oeuvre sensible, dont on peut regretter qu’elle semble, depuis I Wish (2012), s’édulcorer un peu. Tout dans le film, de la tenue des sœurs à la lumière des paysages filmés sur quatre saisons, est très beau, procède d’un art désormais maîtrisé de Kore-eda où forme et fond s’épousent idéalement sans accroc, dans une photo splendide qui donne un sentiment de cocon. On est dans Notre petite sœur comme à la maison, tout y est confortable, semblant dans un premier temps confirmer la tendance récente de Kore-eda à vider son cinéma de toute noirceur. Loin du crève-coeur Nobody Knows (2004), Notre petite sœur n’est quasiment que douceur sans équivoque, et il faut tout le talent du cinéaste pour que certaines séquences – des feux d’artifice lancés par les sœurs en kimono ; la préparation scrupuleuse de la liqueur de prune – échappent à un certain exotisme nippon, voire à une béatitude gâteuse.

 

Il y a pourtant, quelque part sous cet élégance ouatée, quelque chose de l’ordre du drame qui couve. Car si l’arrivée de Suzu vient joyeusement réorganiser une vie jusque-là bien ordonnée, elle amène avec elle les fantômes dont les sœurs pensaient avoir appris à se passer. En témoigne la très belle scène, l’une des plus cruelles du film, dans laquelle Suzu s’excuse pour le comportement de sa mère, qui a selon elle “détruit” la famille de ses aînées en jetant son dévolu sur un homme marié (le père démissionnaire). Elle n’y est évidemment pour rien, mais la douleur est bel et bien là, et elle cristallise ce que tout le film n’a de cesse de mettre en lumière : qu’on ne vit qu’en opposition à ses parents (les grandes sœurs ne voient plus beaucoup la mère, pourtant bien vivante), ou alors avec la culpabilité de leurs actions. La thèse vaut ce qu’elle vaut, elle esquisse pourtant le véritable dessein du film – faire l’état des lieux du poids, faramineux, des absents. Car c’est évidemment le père qui hante chaque plan, que ce soit dans les confrontations avec une tante acariâtre ou dans les soirées de beuveries (les meilleures scènes du film, dans lesquelles Kore-eda fait montre de lâcher prise). Et la beauté de Notre petite sœur est pile là : en étant du côté des vivants, Kore-eda dresse surtout, en creux, le portrait des morts.

Titre original : Umimachi Diary

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Durée : 127 mn


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