L´univers onirique de Michel Gondry

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Michel Gondry n´aurait pas trouvé meilleur outil, meilleur médium que le cinéma pour traduire ce qui alimente son art : le rêve.

Chez lui, le rêve est un sujet récurrent, une obsession, mais pas un exutoire pour se libérer de quelques traumatismes. Non, il lui permet avant tout d’opérer un travail sur l’image, et de dessiner les contours d’une esthétique qui lui est propre, sa marque de fabrique en somme.

Le traitement du rêve à l’image

A l’inverse d’une romance type, tout ne finit pas au lit chez Michel Gondry, mais tout y commence. Il est l’adjuvant du rêve par excellence. La première scène d’Eternal Sunshine of the Spotless Mind s’ouvre sur le lit de Joël (Jim Carrey) au moment du réveil, de même que les scènes d’endormissement et de réveil de Stéphane (Gabriel Garcia Bernal) affluent dans La Science des rêves. Il est un repère, le lien entre rêve et réalité. Sauf que chez Gondry, la frontière entre les deux se révèle bien mince. Et c’est là tout l’intérêt de son cinéma. L’inventivité dont il fait preuve augure précisément dans ces situations où la réalité bascule, où les deux antonymes, rêve et réalité, s’interpénètrent : d’un robinet normal coule du cellophane et un rasoir devient araignée (à voir également, Pecan Pie, sketch hilarant, présent sur le DVD The Work of Director consacré à Michel Gondry, où l’on peut voir Jim Carrey conduire un lit, se faire ravitailler en essence par Eric et Ramzy et repartir aussitôt sur les routes.)

Dans La Science des rêves, le rêve surgit dans la réalité de manière cohérente, il s’en arrange dirait-on. A travers ce film, Gondry présente un cinéma hétérogène, qui rassemble, d’une part le bricolage, le palpable, le tangible, et d’autre part, l’imagination, le « départ en vrille », la folie douce. Oniriquement raisonnable ou raisonnablement onirique, sa construction est simple : à chaque scène terrestre répond une scène lunaire, à chaque événement de la réalité, son pendant, son contrepoint onirique, mais sans confrontation aucune, en continuité. Michel Gondry joue alors les magiciens (à l’instar du compagnon de Miou Miou dans le film, qui à lui seul, illustre ces propos, l’illusion dans la vie, le rêve dans la réalité, métaphore ancestrale du cinéma) tout en usant d’objets bricolés, cousus, en carton et en procédant aux animations à l’ancienne, image par image.

Du reste, le rêve semble généralement moins « stylisé » que dans Eternal Sunshine. Dans ce dernier, l’utilisation des coupures franches entre les différents lieux de mémoire, les flash back, les images embuées, le jeu du flou, les rewind, les cernes de lumière, les reflets et les surimpressions, soulignent le basculement d’un état mental à un autre, les signes de distinction sont donc plus forts. Mais il n’empêche que dans le film, la science-fiction et la réalité se confondent. Les souvenirs ne sont plus que des données numériques que l’on peut effacer et dont on explique scientifiquement le processus. De même que le titre du troisième long métrage l’exprime : le rêve est une « science ».

 

De plus, le clipeur de Björk travaille sur la perception image et son, il brouille les pistes, pour ainsi diffuser du rêve dans la réalité et inversement. Quand Gabriel Garcia Bernal, poursuivi par la police, s’échappe au volant de sa voiture en carton aux vitres en feuilles plastiques et vient s’écraser contre un mur, sa tête traverse le faux pare-brise et le son d’un bris de glace nous revient aux oreilles. Aussi, le montage répétitif appuie cette interpénétration. La machine à reculer d’une seconde dans La Science des rêves semble agir directement sur la pellicule (précisons que Retour vers le futur et Un jour sans fin sont les films préférés de Michel Gondry).
 
Plasticien Bricoleur

Par ailleurs, le rêve pour Michel Gondry est avant tout une matière plastique, qu’il articule depuis ses débuts pour atteindre une esthétique du bric-à-brac, du trois fois rien, pour emmener le spectateur dans son univers, fait de cartons, de ouate et de fils, qui nous emmène dans les tréfonds de l’enfance. Sans doute exploite-t-il le rêve davantage à la manière d’un Méliès que d’un Cocteau. Il n’a pas besoin de faire traverser les miroirs et autres ressorts oniriques pour emporter son audience vers un ailleurs imaginaire. Il croit d’ailleurs plus en l’art de Buñuel pour faire basculer le rêve dans la réalité. L’image onirique chez lui n’est ni forcée, ni particulièrement « jolie ». En outre, le parti pris n’est pas non plus psychanalytique. Le subconscient et ses interprétations freudiennes ne semblent pas une question importante pour lui (Gondry a déjà fait part de son aversion pour les théories freudiennes sur le rêve, qu’il trouve totalement dépassées et par lesquelles on aurait vite fait d’interpréter par exemple, l’obsession qu’il a des mains géantes (ce motif était déjà utilisé dans le clip Everlong des Foo Fighters, puis il revient dans La Science des rêves) !

Il n’y pas donc de message caché, quoique Michel Gondry n’en interdise pas la lecture aux spectateurs, à ceci près que la fuite face à la réalité soit indéniable chez ses personnages. Le souvenir, l’image, sont plus séduisantes que la réalité, semblent nous dire les films. Stéphane voudrait voir Stéphanie (Charlotte Gainsbourg) apparaître dans ses rêves parce que dans la réalité, elle lui échappe. Quand il se jette sur la porte de sa voisine de pallier, c’est à la réalité qu’il se cogne. Le combat de Jim Carrey dans Eternal Sunshine, se résume à ne pas vouloir perdre les souvenirs qu’il a de Clémentine (Kate Winslet), mais la réalité de leur rupture, l’origine de leur décision d’effacer l’autre de leur mémoire, leur est insupportable.
Cesare Zavattini, figure majeure du néoréalisme italien, scénariste du Voleur de bicyclette, disait que « le cinéma a tout raté en suivant le chemin de Méliès plutôt que celui de Lumière, parsemé des épines de la réalité ». Michel Gondry a assurément trouvé savoureux compromis.



 


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