L’Orphelinat

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Le cinéma espagnol prouve une fois encore sa vitalité avec cette histoire de fantômes dissimulant un profond drame humain.

Encore une histoire de fantômes, d’enfants et de maisons abandonnées diront certains. Peut être ont-ils raison, à la différence près que nous ne sommes pas face à une production hollywoodienne sans âme ou à une énième variation asiatique sur le thème du revenant. L’Orphelinat est la dernière réalisation ibérique parrainé par le maître Guillermo Del Toro, double atout quand on voit les réussites que sont L’Échine du diable et Le Labyrinthe de Pan, Les autres d’Amenabar ou Darkness et Fragile de Balaguero. C’est d’ailleurs le seul défaut imputable au film de Bayona que d’arriver après tous ces classiques. Des films prenant la voie du cinéma fantastique et d’épouvante pour plonger le spectateur dans les affres de l’enfance ou dans les tourments du fascisme.

D’emblée l’influence de Del Toro, ici présent en tant que producteur, se fait sentir. Considéré aujourd’hui comme l’un des réalisateurs les plus inventifs de sa génération, chacun de ses films sont des déclarations d’amour au genre. Sa notoriété lui permet ainsi d’épauler de jeunes réalisateurs qui, dans son sillage, construisent des œuvres maîtrisées, directement ancrées dans un cinéma que l’on croyait révolu. On pense immédiatement aux productions de Terence Fisher ou de Roger Corman : pas de mise en scène grandiloquente, pas ou peu d’effets spéciaux, mais une histoire forte, des personnages incarnés, et une vision du cinéma fantastique à l’opposé du cynisme actuel.

Le jeune réalisateur J.A. Bayona, dont c’est le premier film, fait preuve d’une maîtrise évidente pour installer une atmosphère désuète et surannée autour du manoir faisant office de vieil orphelinat. Un lieu isolé, un phare du bout du monde, une architecture fantomatique, de longs couloirs, des tapisseries fin de siècle, tout concourt pour créer un monde parallèle entre la vie actuelle d’une mère et son passé d’orpheline. Porté à bout de bras par l’actrice Belén Rueda, dont la beauté abîmée irradie chaque plan, le vertige de cette femme qui se perd dans les couloirs de son enfance fait basculer le film dans le drame effroyable qu’est la perte d’un enfant. Les fantômes du passé, le spectre de la mort et l’ombre de l’enfance abandonnée sont les thèmes qu’égrènent le film dès les premières minutes et ce jusqu’à son dénouement. Cette femme rationnelle au premier abord fera même appel à un médium lors d’une spectaculaire séquence où Géraldine Chaplin capte les « présences ». C’est d’ailleurs le seul instant où le film se veut être effrayant avec son utilisation de sons de l’autre monde et un point de vue en caméras de surveillance où l’on est plongé dans le noir. Car là n’est pas le but. Le réalisateur souhaite plus décortiquer l’évolution interne de son personnage en quête d’un secret que de faire peur à tout prix. Sans en dévoiler les arcanes, l’utilisation judicieuse du flash back et du conte de Peter Pan expliquera la démarche de l’héroïne s’échinant à retrouver son fils.

L’Orphelinat, en plus d’être un vibrant plaidoyer pour l’enfance perdue, la fin est d’ailleurs bouleversante dans son romantisme d’un autre âge, est somptueux d’un point de vue plastique et cinématographique. Les couleurs chatoyantes de la nature rivalisent avec les teintes boisées du manoir, attention toute particulière à la déco coloniale de ce dernier, et les clairs obscurs tout en nuance de l’intérieur de l’orphelinat contrebalancent avec l’effervescence maladive et rayonnante de Belén Rueda. Quant à la caméra, elle parvient à se fluidifier ou à se faire insistante lors des moments clés du film, suivant au plus près l’équilibre psychologique de l’héroïne. Tout ceci donne à penser que seuls actuellement les réalisateurs espagnols savent créer un cinéma sincère, où plus l’image prendra son temps pour exister et plus son sensible pénétrera l’affect du spectateur. En quelque sorte le b.a ba du cinéma.

Titre original : El Orfanato

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Durée : 100 mn


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