Lone Ranger, naissance d’un héros

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Le vrai blockbuster dépaysant de l´été.

On avait sans doute rangé Gore Verbinski un peu trop vite parmi les faiseurs dociles de l’industrie hollywoodienne tant il ne cesse d’affirmer sa singularité, confirmée avec ce Lone Ranger. Verbinski s’était révélé avec La Souris (1997), brillant exercice de cartoon live où les courses-poursuites de Tom et Jerry ou encore Titi et Grosminet semblaient surgir dans la réalité avec une loufoquerie irrésistible. Le médiocre Le Mexicain (2001) avait affirmé son attirance pour le fantastique et les récits de malédiction concrétisée dans Le Cercle (2003), brillant et glaçant remake du classique de l’épouvante japonaise Ring (Hideo Nakata, 1998). Tous ces éléments allaient constituer les points marquants de la trilogie des Pirates des Caraïbes (2003, 2006 et 2007) qui révèleraient vraiment Verbinski au grand public. Les défauts ne manquent pas dans cette saga à succès : grosses longueurs, script chaotique, Johnny Depp de plus en plus en roue libre au fil de la popularité de son Jack Sparrow (un des rares héros originaux et marquants créés par le cinéma recycleur des années 2000). L’apport de Verbinski en fait pourtant un véritable ovni parmi les blockbusters de la décennie. L’univers croisant piraterie et surnaturel à travers ses légendes (le Hollandais volant, le Kraken) est inventif et foisonnant, l’humour le plus absurde côtoie les moments réellement « autres » (Sparrow en pleine schizophrénie dans le no man’s land au début du troisième volet) tout en respectant la dose de romanesque et de spectaculaire à coup d’images inoubliables (les assauts du Kraken, la bataille navale dantesque du troisième épisode). Malgré le triomphe commercial de la trilogie, on n’avait sans doute pas encore complètement mesuré le rôle de Verbinski dans cette réussite, jusqu’à la sortie du quatrième épisode (2011), poussif, réalisé par Rob Marshall. La même année, Verbinski signait lui le film d’animation Rango, flamboyant western animalier où libéré des contraintes de Disney (il est à l’origine du projet et co-signe officieusement le scénario), toutes les idées les plus folles des Pirates des Caraïbes trouvaient leur aboutissement. Hommage au western (spaghetti pour les trognes animalières repoussantes des méchants et américain pour la thématique) et beau récit de quête d’identité, Rango surclassait les dernières sorties Pixar et était tout simplement un des plus beaux films d’animation récents.

 

 

Verbinski revient dans le giron de Disney pour ce Lone Ranger et là aussi dépasse l’argument marketing du « Pirates des Caraïbes dans l’Ouest ». Le film adapte en fait les aventures d’une icône de la culture populaire américaine qui connut le succès en feuilleton radiophonique dans les années 1930 et dans une série télévisée durant les fifties. John Reid alias le Lone Ranger est donc un ancien ranger masqué qui aidé de son taciturne acolyte indien Tonto défend la veuve et l’orphelin dans l’Ouest. Avant le film de Verbinski, diverses tentatives de qualité toute relative furent menées pour relancer le personnage en dessin animé, téléfilm, pilote de nouvelle série télévisée, mais sans succès. Le réalisateur apporte en partie ici son sens de l’excès et de l’extravagance hérité de Rango et Pirates des Caraïbes, mais la simple greffe dans un cadre de western prend un tour plus intéressant en questionnant la notion de point de vue. Cette facette est double en travaillant la croyance du spectateur (dans un récit à la deuxième personne par un Tonto vieillard et attraction de cirque racontant ses exploits à un petit garçon) mais aussi de son héros en devenir. John Reid (Armie Hammer) est ainsi un juriste improvisé ranger et ayant jusque-là vécu dans l’ombre de son frère, le vrai héros. La mort de ce dernier en fait le dernier ranger mais dans cet Ouest corrompu, il devra assumer d’avancer masqué et au-dessus des lois pour rendre la justice. Les évènements rapportés par Tonto (Johnny Depp) à son jeune auditeur autorisent ainsi toutes les folies, que ce soit l’irruption affichée du fantastique (le vrai Lone Ranger simulant simplement sa mort pour endosser son alias alors que dans le film il meurt et est ramené d’entre les morts par l’esprit indien symbolisé par son cheval blanc) et des cascades extravagantes dont un ébouriffant déraillement de train en ouverture sans parler d’écarts de violence surprenants pour une production Disney. . Il demeure cependant dans le film une facette distanciée et comique du fait de la maladresse de son héros ne croyant pas en son statut. Armie Hammer a ainsi fière allure, masqué sur son cheval blanc, mais une pirouette désamorce systématiquement tout ce qui pourrait le mettre en valeur, l’indien Tonto détenteur de la vraie croyance assumant le statut de héros. Johnny Depp, masque impassible offre une hilarante prestation de mime décalée avant qu’un rebondissement ne révèle les terribles raisons de sa folie douce. Par lui surgit un décalage issu du western des 70’s (on pense au Little Big Man d’Arthur Penn (1970) avec le récit rapporté, l’humour dénonçant néanmoins violemment le massacre des indiens par une armée corrompue) qui mets à mal une imagerie ayant fait la mythologie américaine et accentuant l’audace du film.

Le film paraît ainsi constamment déséquilibré avec son Ouest relativement « réaliste » (la thématique de l’avancée du chemin de fer autorisant toutes les violences, lorgnant sur Il était une fois dans l’Ouest (Sergio Leone, 1968)) contrebalancé par les éléments surnaturels et discutables entourant le Lone Ranger et Tonto. Après le caméléon en quête d’identité de Rango trouvant enfin sa voie en shérif (on peut aussi ajouter Jack Sparrow hésitant toujours entre héroïsme et individualisme), Verbinski opère ici une réflexion voisine. Le justicier doit s’assumer en tant que tel et enfin se confondre avec sa légende à laquelle Tonto et le petit garçon croient sans réserves. John Reid désabusé et comprenant l’importance du masque va alors définitivement endosser ce statut lors de la conclusion. Là, Verbinski ose les cascades les plus insensées, les exploits les plus virtuoses lors d’un climax épique où Tonto et John Reid enfin Lone Ranger multiplient les postures héroïques. Certains raccourcis scénaristiques assumés et l’épilogue jouent habilement le double jeu entre légende fantasmée et réalité (Les Aventures du baron de Münchhausen (1988) de Terry Gilliam ne sont pas loin) mais comme le disait James Stewart pour conclure L’Homme qui tua Liberty Valance (John Ford, 1962) : « Quand la légende dépasse la réalité, on publie la légende ». Sous le gros divertissement estival, Gore Verbinski rend un bel hommage au personnage et au mythe américain pour un vrai beau western.

Titre original : The Lone Ranger

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Durée : 149 mn


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