L’Intendant Sansho (Sansho dayu)

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Adapté d’une très vieille légende populaire japonaise, L’Intendant Sansho raconte, de premier abord, l’histoire d’une tragédie familiale. Mais il se comprend plus fondamentalement comme un film sur la quête de l’identité et la précarité de cette dernière, sur la recherche de ses racines les plus profondes et sur la vulnérabilité du statut social. Zushio est […]

Adapté d’une très vieille légende populaire japonaise, L’Intendant Sansho raconte, de premier abord, l’histoire d’une tragédie familiale. Mais il se comprend plus fondamentalement comme un film sur la quête de l’identité et la précarité de cette dernière, sur la recherche de ses racines les plus profondes et sur la vulnérabilité du statut social.

Zushio est le personnage principal du film. La dénucléarisation de la cellule familiale entraîne chez lui des troubles comportementaux qui l’amènent à remettre en cause les valeurs morales et sociales que son père, un homme noble et un brun idéaliste, lui avait inculquées. L’Intendant Sansho peut se lire également comme l’histoire d’un enfant qui passe à l’âge adulte, cherchant des repères auxquels s’accrocher sur la route sinueuse de la vie. Zushio devra effectuer un choix radical entre les deux comportements moraux contraires qui s’offrent à lui (schématiquement : le bien ou le mal). Se pose alors la question de la responsabilité et de la liberté individuelle : à quel point sommes-nous tout à fait maîtres de nos actes, à quel point pouvons-nous librement choisir les principes de vie qui sont les nôtres ? En guise de réponse, Mizoguchi bâtit son film sur un chassé-croisé complexe aux allures de dialectique entre déterminismes extérieurs et individualisme, opposition par ailleurs fondatrice de toute son œuvre.

Zushio se nourrit de l’image qu’il s’est faite de son père, celle d’un homme puissant, respectable et fort. Ce dernier lui a inculqué une valeur fondamentale, qui se révèle être la clef de voûte et de compréhension de tout le film : « Un homme sans pitié n’est pas humain ». Un axiome paraissant bien précaire et insolite dans un monde qui s’en inscrit en contre-faux. Pourtant, il restera gravé dans le cœur de l’enfant devenu adulte. Finalement, Zushio était « condamné » à reproduire le comportement de son père, s’inscrivant comme le « continuateur » de sa digne conduite.

Cependant, tout n’a pas été aussi limpide. Sa condition d’esclave a tout d’abord conduit à son aliénation sociale : il n’était qu’un simple objet, reconnu uniquement à travers sa force de travail. En acceptant cette condition (« Il vaut mieux plaire à l’intendant qu’à Bouddha », affirme-t-il même), il s’est progressivement déshumanisé, oubliant de ce fait la phrase de son père. Tout sentiment, toute relation interpersonnelle était alors impossible. La contrainte liée à sa condition sociale niait sa liberté individuelle au sens propre mais aussi moral. Pourquoi accepte-t-il subitement de s’enfuir ? Quelles sont les origines du renversement qui se provoque en lui ?

Ce renversement s’appuie en fait sur le souvenir de sa mère et de son père, qu’il avait gardé à l’état refoulé. De social, le déterminisme qui guide le comportement de Zushio devient filial, résurrection de valeurs morales refoulées provenant d’une pulsion individuelle, et qui le pousse à refuser sa condition d’esclave. Une fois libéré, sa première démarche est de se recueillir sur la tombe de son père. Un acte hautement symbolique, par lequel il nous signifie que son identité s’est reconstruite, qu’il s’est réconcilié avec lui-même.

Tout acte et décision individuels ne sont donc compréhensibles qu’à la lumière de l’interaction entre l’individu et un déterminisme social qui le nie, et toute poussée de l’individualisme passe par le rejet de ce même déterminisme social. Mais quelque soit le gagnant de ce rapport de force, l’individu ne peut exister en lui-même, il est forcément déterminé par des repères (ici moraux) conservés à l’état de refoulement.

L’Intendant Sansho est un film absolument fabuleux. Mizoguchi y met en scène un drame poignant ancré dans un contexte social bien identifié. La fulgurance esthétique, les cadrage somptueux et les impressionnants jeux d’ombre et de lumière sont au service d’une recherche de l’abstraction procédant d’une exploration de mécanismes psychologiques complexes. Mizoguchi prouve une nouvelle fois, si tant est que cela était nécessaire, qu’il était un des cinéastes les plus remarquables de son époque. Car toute tentative d’explication psychologique devrait finalement passer derrière l’impression de force céleste et de facilité à capter les drames intérieurs des personnages qui se dégage de L’Intendant Sansho.

Titre original : Sansho dayu

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Durée : 120 mn


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