L’inquiétante Dame en noir

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Richard Quine fait brillamment ses gammes dans le premier volet de sa grande trilogie sur la mise en abyme cinématographique.

Chez les grands maîtres de la nouvelle comédie américaine des années 50/60, la dimension parodique et référentielle s’avéra un atout novateur et bien plus prononcé que chez leur prédécesseur. On se souvient notamment de la délirante reprise de Tant qu’il y aura des hommes dans le Sept ans de réflexion de Wilder, où Tom Ewell se rêvait Burt Lancaster en fantasmant le fougueux et long baiser sur la plage avec Marylin Monroe. Frank Tashlin truffait de gimmick de cartoon à la Tex Avery ses deux opus avec Jane Mansfield et l’ouverture de The Party de Blake Edwards proposait un extraordinaire détournement du célèbre Gunga Din de George Stevens. Aussi géniaux que soient ces différents films, cette facette ne constitue que des moments épars des récits. Pour voir ce principe poussé dans ses derniers retranchements, il faudra attendre Richard Quine et la trilogie qu’il consacra à cette forme de mise en abyme cinématographique délirante avec L’inquiétante Dame en Noir, Deux têtes folles et Comment tuer votre femme. L’évolution à travers ces trois films est d’ailleurs passionnante : en explorant le pastiche du cinéma par la parodie pour le premier, en y ajoutant une réflexion sur la création dans le second et même un audacieux propos sur les rapport hommes/femmes dans le troisième.

William Gridley (Jack Lemmon), un jeune diplomate américain, est envoyé à Londres. A la recherche d’un appartement à louer en ville, il postule auprès de la ravissante Carlyle Hardwicke (Kim Novak), qui consent à lui céder l’appartement. Mais ce qu’il ignore, c’est qu’elle est le suspect numéro 1 du meurtre de Miles Hardwicke, époux de cette dernière, dont on n’a jamais retrouvé le corps.

Epaulé par Blake Edwards (qui fut longtemps son scénariste avant de se lancer derrière la caméra à son tour), Richard Quine s’attaque donc avec humour et déférence à l’un des réalisateurs à la touche visuelle et narrative la plus identifiable s’il en est : Alfred Hitchcock. L’histoire dépeint la rencontre entre une américaine installée à Londres, soupçonnée de meurtre, avec un modeste employé d’ambassade joué par Jack Lemmon, qui ne sait rien de cette fâcheuse réputation. A partir de cette idée va s’amorcer une enquête policière loufoque où Lemmon, tombé amoureux, va tout faire pour prouver l’innocence de Kim Novak. Tous les grands climax du récit vont ainsi s’appliquer à reprendre de manière délirante et outrancière des classiques de séquences Hitchcockiennes. Le début, où Lemmon, encore méfiant, soupçonne Kim Novak de vouloir l’empoisonner lorgne donc vers Soupçons en inversant les rôles ; plus tard, une filature nocturne dans un Londres sinistre et brumeux évoquera The Lodger. Une séquence de tribunal avec Novak en accusée reprend le principe du Procès Parradine et la course poursuite finale en train et par la campagne Les 39 marches mais aussi La Mort aux Trousses. Malgré un côté un peu décousu, toutes ces différentes péripéties ne font pas dans la parodie pure. Quine est plus subtil que cela et l’enquête maintien constamment son intérêt. Sous la légèreté, le suspense n’est pas exclu, loin de là, et quelques élans de noirceur et de violence viennent nous rappeler que nous sommes bien devant un thriller (le remarquable coup de théâtre suivant le procès), même pour rire. Notamment une dernière demi-heure ébouriffante de rythme.

 

Surtout, avant de partir tout azimuts, Quine aura pris le temps de rendre ses personnages très attachants. Kim Novak (jamais plus belle et émouvante que devant la caméra de son réalisateur fétiche) étincelle de fragilité en accusée à tort (et son choix dans une déclinaison de Hitchcock est des plus judicieux) et, après Embrasse Moi Idiot de Wilder, démontre à nouveau une légèreté et un timing comique irrésistible (il faut la voir accueillir Lemmon au début avec un accent outrancier). Lemmon, dans son emploi habituel de monsieur tout le monde remuant ciel et terre, offre encore un grand numéro. L’Adorable Voisine avait déjà montré le talent de Quine pour équilibrer émotion et comédie, il en fait la preuve à nouveau pour alterner le rapprochement de son couple et son grand huit comique.
Quine affinera merveilleusement le trait dans le suivant Deux têtes folles, où le propos se fera plus grinçant, ainsi qu’avec Comment tuer votre femme, aidé par l’apport du scénariste George Axlerod. Pas tout à fait aussi brillant et virtuose dans son exercice, L’Inquiétante Dame en Noir n’en reste pas moins une comédie haut de gamme et trépidante, sans doute la plus grande réussite à ce jour en matière de parodie Hitchcockienne.

Titre original : The Notorious Landlady

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Durée : 127 mn


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