Les Mille et une Nuits – Volume 3 : L’Enchanté

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Suite et fin du film de Miguel Gomes, où la fiction s´impose avant de se laisser rattraper par un réel intemporel.

Après L’Inquiet et Le Désolé, voici L’Enchanté qui, s’il vient bien clore un cycle, ne constitue pas tant une fin en soi qu’une nouvelle exploration des possibles du cinéma, dont le film pourrait faire office de nouveau socle. Car ce troisième volet des Mille et une nuits de Miguel Gomes creuse encore plus avant l’impression d’un film-somme, d’un film-feu d’artifices dont les explosions formelles et narratives impressionnent sur l’instant mais viennent aussi se tapir dans un coin de la mémoire, comme réminiscences à ressortir plus tard, souvenirs fugaces ou latents. Là encore, formes et genres se confondent, split-screens et surimpressions se suivent, la fiction la plus irrationnelle (recréer Bagdad dans la calanques de Marseille) croise le réel le plus vivace et proche (des manifestations policières à Lisbonne en 2014). Les écrits envahissent l’écran, la légende tutoie l’instant et Shéhérazade s’essouffle, s’inquiète de ne bientôt plus trouver d’histoires à raconter à son roi.

L’Enchanté, surtout, s’inscrit davantage dans la durée, oubliant la seule notion d’immédiateté. Il vient rappeler que le destin d’un peuple, bien que fortement soumis à l’actualité, est aussi ce qu’il y a de plus intemporel. Ainsi de l’organisation d’un concours de chant de pinsons dans les faubourgs de Lisbonne, tradition importée de Flandres après la fin de la première guerre mondiale et qui devrait se perpétuer encore bien des années. Elle est ici filmée pendant plus d’une heure, vient scruter la part intime de Portugais qui, pour s’affronter, opposent leurs oiseaux et espèrent qu’ils chanteront le plus longuement possible. Aucune tentation d’exotisme social de la part de Gomes, tous les participants sont observés comme des artisans, jamais comme héritiers d’un hobby qu’on pourrait trouver plouc. Le sérieux prédomine, et c’est de l’acharnement et du cœur qu’ils mettent à l’ouvrage que naît l’émotion qui, comme tout au long de ces Mille et une nuits, surgit de l’anodin quand on s’y attend le moins.

 

Avant cela, la première moitié du volume se consacre à la fiction la plus flamboyante qui soit : Shéhérazade chez elle à Bagdad, ici représentée par Marseille et ses calanques. Elle y croise des brigands (des jeunes mecs des cités), son père pour un tour de grande roue, ou un étalon aux deux cents enfants dont elle repousse les avances. C’est la partie la plus solaire du film dans sa totalité, celle où le mythologique vient embraser la moindre séquence, où le réel est relégué loin, “de l’autre côté du monde – pour voir comment c’est, il faudra de la patience”. C’est cette même patience que demande Gomes depuis le début de son feuilleton estival, sans qu’elle ne soit jamais douloureuse : à celui qui l’aura sont offertes mille récompenses et tout autant d’émerveillements. L’expérience est intense et unique, c’est une vision du monde mais surtout une vision du cinéma, parmi celles qui brillent fort et durablement.

Titre original : Les Mille et une Nuits - L'Enchanté

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Durée : 125 mn


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